Combien d’artistes se sont-ils intéressés à la figure du Diable, sans parler de la pop culture et du succès de la série Lucifer ? Il est fascinant, le Diable, il faut dire, pratique même, quand on imagine que tout le malheur des humain·e·s est le résultat d’un pari entre Dieu et Méphisto. Kentridge, en grand marionnettiste, tire les ficelles d’un angle goethéen rarement exploité.
Le décor est à vue et il est très chargé. Nous sommes dans une immense bibliothèque tout en bois, avec des tables en hauteur et un rayonnage comportant en son centre une horloge en dessin projeté. Kentridge est un maître du dessin. Le crayon a toujours été pour lui un outil politique. Issu d’une famille d’avocats sud-africains engagés dans la lutte contre l’Apartheid, Kentridge prend fréquemment la parole contre les injustices. Il aime, dans son travail, montrer les oublié·e·s. Ici, nous verrons une domestique jouer un grand rôle. Pour dénoncer, Kentridge a le trait anti-enfantin. Il montre des bras coupés et des plaies ouvertes.
Très vite, nous découvrons que les premiers rôles sont joués par des marionnettes à l’allure très humaine. Sauf un, Méphisto bien sûr, qui est entièrement en chair. Nous sommes au XIXe siècle, à l’heure des grandes conquêtes coloniales. Très vite, peut-être un peu trop vite, Méphisto, très bien habillé d’un chic costume trois pièces, propose LE pacte à Faust : il pourra profiter pleinement de la vie pendant un certain nombre d’années, au terme desquelles il devra donner son âme au Diable et passer l’éternité en enfer. Faust pense que ses désirs sont inatteignables, qu’il rêve trop fort la bouche ouverte et que ce dandy diabolique n’arrivera jamais à répondre à ses attentes. Kentridge suit le conte à la lettre. C’est-à-dire que oui, Faust signe de son propre sang, tiré à vue à l’aide d’une seringue, et pendant un long temps, au moins 24 ans d’après le mythe, il règne. Il séduit les plus belles femmes, les envoûte en les rendant esclaves de l’obsession de l’être aimé en apparence. Pour le moment, c’est presque léger, mais les dessins, de plus en plus sombres, nous somment de rester vigilant·e·s, bien réveillé·e·s face à la roue qui tourne, face à ce grand jeu qui nous dépasse.
Mais voilà, même manipulé par le plus machiavélique des hommes, Faust commence à douter et à regretter en voyant les conséquences de ses actes : villages détruits, assassinats, massacres, et l’on en passe. Pourtant, le spectacle peine à trouver son rythme au-delà de la frénésie de l’histoire, des dessins, de la musique souvent présente. Cela s’explique très facilement : Faust in Africa a été écrit en 24 heures, au lendemain de l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Ce contexte explique le choix de la version de Goethe qui s’empare de la question coloniale.
Trente ans après sa création, ce Faust in Africa a été augmenté, réadapté pour coller à nos enjeux contemporains. Si l’on peut saluer l’effusion de dessins tous plus percutants les uns que les autres, on regrette une esthétique datée qui efface les marionnettistes tout en les rendant omniprésents au plateau. Cela rend cette histoire éternelle un peu vaine. Peut-être parce que les humain·e·s du XXIe siècle sont résigné·e·s, bien conscient·e·s que le Diable a gagné, qu’il a fait signer son pacte à un paquet de gens, sans aucun espoir d’un happy end à la Goethe.
À voir dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Ville jusqu’au 19 septembre
Visuel : Faustus in Africa! de William Kentridge – © Fiona MacPherson