Dans le cadre du Festival d’Automne 2023, Thomas Quillardet a fait une résidence de six mois dans un service d’addictologie à l’hôpital. Cette résidence a été possible grâce à un partenariat entre le Festival et l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, ainsi que l’alliance Culture-Santé. De cette expérience, il en est sorti : En Addicto. Une pièce à voir pour sa mise en scène géniale et douce. Géniale, parce qu’elle arrive à capter la salle avec le strict minimum : l’acteur, une chaise, une enceinte. Douce, parce que la narration raconte un univers mal connu avec bienveillance et normalité.
Quand on entre dans le Pédiluve du Théâtre La Piscine de Châtenay-Malabry, on comprend tout de suite pourquoi la salle porte ce nom : avec sa toute petite surface, on se demande si tout le monde pourra rentrer. Construit comme un temple antique, le public encerclant la scène est surélevé par rapport à l’espace scénique qui évolue à même le sol. Thomas Quillardet est déjà là. Le temps qu’on s’installe, il attend. Et comme dans une vraie réunion, il ouvre le bal : « C’est bon, tout le monde est là ? ». Au début, on pense qu’il va s’adresser au public pour lancer le spectacle. Mais en fait, non. Pourtant, c’est bien à un groupe de parole que l’on assiste. Un groupe avec plusieurs voix, toutes portées par le comédien, dans lesquelles on entre tout de suite. La salle du Pédiluve répond à la forme narrative du groupe de paroles. Les spectateurs se trouvent immergés grâce à cette configuration en demi-cercle qui nous permet d’entourer celui qui préside la séance : Thomas.
Cette structure créée un espace intimiste qui colle parfaitement au contexte du récit. En Addicto propose un jeu permanent de rapprochements et de distances entre le comédien et la salle. Quand Thomas Quillardet ouvre la pièce avec un jeu de questions, c’est une polyphonie de réponses jouées uniquement par l’acteur qui impose un décor narratif dans lequel nous sommes de simples témoins. Grâce à la configuration du Pédiluve, nous semblons pourtant installés comme des patients, ce qui nous permet de prendre part physiquement à tous ces dialogues.
Pendant 1 h 20, on observe Thomas Quillardet qui raconte. On est porté par le parcours des patients, des éducateurs spécialisés, des médecins, des infirmiers. Dans ce seul en scène, on rit des tics de langages du corps médical, des discussions de la vie quotidienne, des réunions… On se reconnait dans certaines expressions, dans la manière de conter certains ras-le-bol, de considérer telle ou telle situation. Les paroles sont aussi diverses qu’elles existent, sans aucune hiérarchisation. La parole des patients n’est pas plus centrale que celle des médecins. Dans le dossier de presse, Thomas Quillardet raconte que l’enjeu n’était pas qu’il raconte, lui, une histoire. Il explique que « ce qui compte, c’est la rencontre entre le théâtre et les patientes et les patients, pas ma personne ou mes aléas d’artistes. » C’est totalement cette impression qui ressort de la pièce. Quand l’acteur parle des ateliers qu’il mit en place à l’hôpital, il est juste un personnage comme un autre.
Ce n’est pas une pièce sur l’addiction mais sur des personnes addictes. Thomas Quillardet fait le juste choix de raconter avec intégrité des personnages, des chemins individuels, avant et après la raison qui les a fait rentrer dans un groupe de parole. La focale de l’histoire n’est pas de construire une analyse thérapeutique ou médicale. L’enjeu de la pièce est de raconter les rencontres, les moments de vie à l’hôpital, les échanges qui le traversent. Parallèlement, il y a aussi ce qu’il y a autour : la vie professionnelle, l’environnement familial, l’entourage, les décisions des proches quand la personne est dans le déni, les enfants. Le texte est riche, car il s’étend sur tous ces aspects, ce qui permet à la pièce de ne pas alourdir des contextes qui peuvent paraître difficiles.
D’ordinaire, le sujet que soulève En Addicto est plutôt présenté à travers des figures tristes, portant leur vécu comme un fardeau, parfois en état d’ébriété ou dans des bars, un verre à la main. On voit les personnages dans leur addiction, perdus ou fatalistes face à elle. Ici, on voit autre chose : des gens normaux à qui il arrive des trajectoires amenant à s’isoler dans une bulle addictive. Monsieur-et-madame-tout-le-monde. Cette problématique est racontée de manière à ce qu’elle fasse partie du sujet, sans absorber l’entièreté des intégrités présentées. Il y a dans le texte une réelle douceur envers chaque histoire. Une douceur dans le timbre calme de Thomas Quillardet. Une douceur aussi dans le texte porté sur scène.
Il y aurait pu y avoir mille manières d’aborder ces questions. Des angles lourds, un texte triste, résilié, une mise en scène sombre. Il y aurait pu avoir une pièce à constat : on constate que c’est dur. Soit on trouve ça génial, mais oui, mais attend, c’est génial, ça raconte la vie, la vraie, alors oui, c’est sombre, mais c’est comme ça dans le réel, ça raconte comment ça se passe réellement, mais c’est génial. Soit on est lassé par ces tableaux descriptifs qui n’apportent rien d’autre que de la description. Et ça tombe bien, parce que En Addicto, ce n’est pas ça du tout. C’est une pièce qui raconte des parcours de vie avec légèreté et bienveillance. Dans la parole des uns, il y a le quotidien. Dans celle des autres, il y a les jours avec et des jours sans. Il y a les groupes, les objectifs, les progrès, les espoirs et les pots de départ ! Puis, il y a l’atelier théâtre qui apporte une cohésion singulière, une nouvelle activité.
Si En Addicto était un tableau, il serait une scène de genre juste, loin de tout trait caricatural. De ce fait, si Thomas Quillardet a à peine le temps de finir ses dates au Théâtre La Piscine – L’Azimut qu’il est déjà complet la semaine suivante au Théâtre de la Ville – Sarah Bernard, c’est normal !
Visuel ©Mélina Vernant
Texte et interpretation Thomas Quillardet
Dramaturgie Guillaume Poix
Collaboration artistique Jeanne Candel
Création lumière Milan Denis
Collaborateur.trice.s Titiane Barthel (En Cours)
Direction générale Fanny Spiess
Direction de production / Diffusion Marie Lenoir
Direction de production / Administration Maëlle Grange
Logistique de tournée Marion Duval
Dans le cadre du Festival d’Automne 2023.
Coproduction
Le Théâtre de la Ville-Paris et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation ; Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; La rose des vents – scène nationale de Lille ; Métropole à Villeneuve-d’Ascq
Avec le soutien du Théâtre Ouvert ; L’Azimut / Antony – Châtenay-Malabry
Tournée
6 au 11 octobre – L’Azimut / Antony – Châtenay-Malabry
18 au 28 octobre – Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt
15 au 16 novembre – Théâtre Jacques Carat, Cachan
7 & 8 décembre – Le Trident, Scène nationale de Cherbourg
24 au 26 janvier 2024 – La Rose des Vents, Villeneuve-d’Ascq
8 au 10 mars 2024 – Théâtre de l’Aquirium dans le cadre du festival BRUIT, Paris
2 au 5 avril 2024 – Théâtre de St Quentin en Yvelines
9 au 11 avril 2024 – Théâtre d’Angoulême