Réponse sexuelle nous offre une savoureuse réflexion sur les (im)possibles de l’écriture et sur la censure inhérente au monde de l’édition. Un abord original et truculent de la question du genre et de l’écriture. À suivre !
Julie, interprétée par Laura Leponce Grasset, est seule sur scène ; elle le sera d’ailleurs tout au long de la représentation, puisque c’est bien à un combat solitaire et féroce qu’il nous est donné d’assister, celui d’une jeune autrice d’une vingtaine d’années dont le manuscrit n’a pas l’heure de convenir à son éditrice, Françoise, qui lui reproche de ne pas écrire « à partir de sa matière ». Entendez par là : son sexe féminin, son « être femme » qui conditionnerait — et limiterait — son expérience, et ses possibilités d’écriture. Elle reproche à Julie d’avoir créé un personnage insipide, un « Charles Bovary sans la consistance d’un Charles Bovary », un homme qui n’en serait pas vraiment un… parce qu’elle est une femme. Alors, Julie s’enflamme ; elle « lui en donnera du bonhomme ! ». C’est à partir de ce nœud initial que se développe l’histoire, celle de Julie et surtout celle de sa réponse vengeresse et délectable à son interlocutrice Françoise, représentante caustiquement conservatrice d’une certaine idée de l’écriture et de la sphère du Possible ou de l’Impossible.
Ce qui marque dans Réponse sexuelle, c’est d’abord le texte, brillamment servi par l’interprète principale, Laura Leponce Grasset, tour à tour résolue et quelque peu obsessionnelle dans la peau de Julie, ou sardonique et faussement maternante dans celle de l’éditrice Françoise telle qu’elle est singée par Julie. Marine Fabre, l’autrice, use d’une langue tour à tour poétique et chirurgicale dans la mise en abyme de la réponse de Julie à Françoise. Elle y démonte l’envers du décor, et tout est passé au scalpel : ressorts psycho-sociaux du personnage de Julien, misère de nos petites vies humaines, de notre époque « dépourvue d’Histoire » … Le ton est caustique, les constats souvent amers, mais l’humour ne manque pas, d’autant que l’intertexte est varié, comme quand Julie, lors d’un monologue téléphonique avec sa très patiente amie Vicky, pastiche la langue des Bonnes de Genet pour exorciser sa relation conflictuelle avec Françoise… Bref, il y a un vrai travail stylistique, à la fois nourri et personnel, et quelques épiphanies poétiques – et conceptuelles – vraiment remarquables, de « l’homme-sirop d’orgeat » à la fameuse (et fumeuse) théorie psychanalytique de l’expression « réponse sexuelle ».
Tout au long de la pièce, Julie a le visage grimé en blanc ; masque qui rappelle l’esthétique clownesque, et pourrait symboliser la fausseté obligée des rapports de pouvoir, en l’occurrence ceux inhérents au monde de l’édition, contre lesquels le personnage se débat, emportant avec lui l’adhésion des spectateur.rice.s. On sent l’expérience vécue, et le regard lucide de Marine Fabre (et de Julie) sur la force coercitive de ce milieu, est troublant de maturité. Néanmoins, malgré le ton souvent sarcastique – c’est aussi de la perte des illusions dont il est question en filigrane dans ce texte – Réponse sexuelle est aussi une histoire de libération ; Françoise a beau dire à Julie qu’elle commet une erreur en déclarant à l’instar de Flaubert être son personnage, les remontrances de son éditrice n’atteignent plus Julie, qui se libère progressivement de son emprise, et, partant, de ce à quoi les autres l’assignent dans l’écriture, et dans le genre. Les passages dansés créent à cet égard des souffles lyriques fort bienvenus dans cette épopée initiatique et scripturale très dense. On souhaite à la jeune autrice et metteuse en scène de continuer sa quête scripturale avec autant de brio et de détermination que son personnage.
À suivre donc !
Lecture mise en espace les 02/07 à 10h (Figuier Pourpre)
et 04/07 à 11h (Théâtre de la Porte Saint-Michel)
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Visuel : © Alain Igonet