Jonathan Capdevielle retrouve Dimitri Doré pour un seul-en-scène à mille voix qui avance vers un autoportrait doux, aux allures de conte venu d’un froid fantasmagorique. Un voyage étrange et extrêmement juste sur l’obsédante question de la quête de ses origines.
Au départ, il y a des voix et une vidéo projetée sur un drap. Des draps, sur scène, il y en a une vingtaine, comme une grande lessive étendue dans un jardin où des enfants pourraient se cacher pour jouer. Pour le moment, nous restons sur le bord, juste en avant, mais derrière, on le sent, ces draps vont devenir les couches successives d’un parcours, d’une vie passée à comprendre le pourquoi du comment elle en est arrivée là. On découvre un couple, joué par Dimitri et Yannick Doré, à la fin des années 70, dans son quotidien. Les dialogues arrivent d’ailleurs : ils sont la voix de Dimitri Doré. C’est drôle et décalé à souhait. Il faut rappeler que Jonathan Capdevielle travaille avec la ventriloquie. Il est arrivé sur les scènes contemporaines en 2008, armé d’une marionnette sadique et de ses capacités à être tous les personnages possibles au fond de sa gorge. C’était Jerk. Ensuite, il a questionné sa famille, son identité. En 2019, il rencontre Dimitri Doré et lui dresse un premier portrait aux allures de clown triste, Rémi, qui incarnait une figure pop et sombre. Capdevielle, donc, dissocie les voix des corps qui les portent pour leur donner une fascinante étrangeté. DAINAS (pron. Daïnas), en letton, signifie « un poème ». Et nous voilà entraînés dans une épopée où un chevalier venu de Lettonie arrive à voler.
La sensation de rêver est permanente dans cette pièce où le seul fil conducteur est le cheminement intérieur de Dimitri Doré, 28 ans aujourd’hui, adopté par des parents français à la naissance et donc né à Jelgava, en Lettonie. Ce n’est pas un secret : il avance d’abord sans se montrer, mais il avance ; il sait d’où il vient, mais cela est vide de consistance. Il ne connaît pas ce pays, il n’y a pas grandi. Que faire alors d’une origine que l’on porte en soi sans la vivre ? La question est très universelle. Jonathan Capdevielle et Dimitri Doré construisent un empire. Ils multiplient les symboles, telle cette intrusion viking très drôle, impolie et fracassante dans la maison des parents de Dimitri. Désormais, le comédien se voit et se montre. Artiste dément, il joue autant qu’il chante, autant qu’il s’envole.
Dans cette scénographie légère, les draps sont de douces séparations entre la perception et la réalité. Sur le sol, on trouvera tout et n’importe quoi : une boule à facettes comme un grand ours à taille réelle. La pièce fonctionne comme un puzzle de l’intime, dont chaque morceau prend une forme unique. Les parcelles de vie, les rencontres et les quêtes de connaissance ne se contredisent pas : elles forment toutes les strates qui constituent. Nous sommes au-delà du conte, dans la phase suivante, dans la légende, dans le poème, dans les daïnas. Il s’agit d’un parcours de reconstitution autant que de construction, pour pouvoir passer à l’avenir en conscience du passé. Dimitri Doré montre une nouvelle fois l’amplitude de ses talents. On le découvre encore plus percutant dans l’étendue de ses capacités à faire des images allant d’un lourd viking à un léger trapéziste. Du sol au ciel, la voix et le corps réunis, Dainas nous touche en plein cœur et nous emmène loin, au coin d’un feu imaginaire, à réécouter, nous aussi, des contes et des légendes inconnues et familières.