Trois heures trente autour d’une adolescente victime de prédation. Formellement intéressante, la pièce rate totalement le coche en diluant son propos dans un invraisemblable babil.
La scène liminaire de Daddy donne le ton. On assiste sur un grand écran à une partie de jeu vidéo en ligne où l’enjeu est de conquérir une ville fictive. Lexique de geek, vocables adolescents… Les premiers échanges entre Mara, 13 ans, et Julien, 27 ans, n’ont rien de franchement intéressant, hormis le fait qu’ils témoignent d’une incursion du théâtre dans un autre univers. La fin de la séquence se veut pleine de sens, le jeune homme tentant de persuader la jeune fille qu’elle est spéciale, différente des autres. C’est pour mieux l’inviter, deux scènes plus tard, à participer à une autre aventure virtuelle. Baptisée Daddy, l’expérience exige de ses participants qu’ils jouent avec leur vrai corps. Commence alors la spirale de l’emprise…
Ainsi débute la nouvelle création de Marion Siéfert, dont la première à la Commune d’Aubervilliers s’est tenue vendredi 6 octobre. La pièce y sera jouée jusqu’au 11 octobre avant une tournée partout en France. De Marion Siéfert, on avait fort apprécié l’audace multimédia de _jeanne_dark_ en 2021. Dans une forme bien plus ramassée (donc plus efficace), elle se servait de la vacuité des réseaux sociaux pour mieux la dénoncer. La performance était radicale, percutante… Autant dire qu’on en redemandait.
Sauf que tout le drame de Daddy est là : on ne fait pas un tout avec du rien. Sous couvert d’ultraréalisme et de spontanéité, le texte, coécrit avec le cinéaste Mathieu Bareyre, prend des allures d’invraisemblable babil. Trois heures trente durant (entracte compris), ça bavasse sans fin et sans fond. La deuxième scène, où les parents et l’oncle de Mara conversent sur les turpitudes de la vie et refont le monde en buvant et en fumant, est horripilante. Au contraire de la réunion de famille de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, dont l’ineptie finit par faire corps et sens, Daddy ne parvient pas à s’épaissir. Tout du long de la pièce, les poncifs s’enchaînent sur les relations parent-enfant, sur les LGBT, sur la réussite, sur le rêve…
Le tout est mâtiné d’une ambition sociologique molle et déjà vue. Pêle-mêle, on pérore sur le rapport à l’argent, sur la violence du patriarcat, sur la mercantilisation du corps, sur le monde contemporain qui consomme et consume jusqu’aux âmes… On ne s’étonnera d’ailleurs pas que le personnage de Julien arbore dans la première partie un élégant costume rouge diable pour mieux incarner la figure de Méphistophélès, le corrupteur faustien. Pour la subtilité, on repassera.
Côté irrévérence, Daddy a le malheur de s’appuyer sur… la pop culture. Reproduire des scènes entières de films comme Le Milliardaire de George Cukor (ambiance cabaret de province), Entretien avec un vampire (on appréciera diversement la justesse de l’accent des acteurs) ou pire, La La Land… A quoi bon ? Qu’est-ce que ces citations in extenso apportent à l’acte dramaturgique ? Rien. A trop multiplier références et clins d’œil, Daddy croule sous leur poids. Le spectateur se perd dans ses méandres, accablé par Beyoncé, Snoop Dogg ou… Nino Rota, dont on entend la Valse brillante, celle du Guépard de Luchino Visconti.
Certaines choses fonctionnent bien. Le recours à la neige charrie inévitablement sa symbolique poétique dans la scénographie de la deuxième partie. Les jeux de lumière de Manon Lauriol sont plutôt réussis. Les costumes, signés Valentine Solé et Romain Brau, ont du chien (la veste croisée rouge que porte Julien n’est pas sans rappeler celle de Robert De Niro dans La Valse des pantins de Scorsese)… Quant aux interprètes principaux, Lila Houel et Louis Peres, leur talent n’est pas à remettre en cause. Mais force est de constater qu’ils sont en lutte avec la trop grande oralité du texte, butant dessus à de trop nombreuses reprises. Le sujet – la prédation et l’emprise dont peuvent être victimes les mineurs – méritait du vénéneux, du toxique, du puissant. Le tout se révèle fade comme un potage sans sel et n’a que le goût du gâchis.
Daddy, de Marion Siéfert.
Avec Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Louis Peres, Charles-Henri Wolff.
Du 6 au 11 octobre, Théâtre de la Commune.
Visuel : © Matthieu Bareyre