Une nouvelle fois, avec Blind runner, Amir Reza Koohestani nous entraîne dans les folies inextricables de son pays, l’Iran. Une course froide et sans espoir vers un meilleur avenir.
Le public français connait bien le travail d’Amir Reza Koohestani qui a été très souvent invité, depuis 2016, au Festival d’Avignon et au Festival d’automne. Chacune de ses pièces nous raconte un aspect kafkaïen du régime iranien. Dans ses précédentes œuvres, Hearing et Summerless, le metteur en scène nous exposait, en filigrane, la censure qui pèse sur la création dans son pays. Plus récemment, il nous racontait, dans En transit, un voyage impossible. Tout cela se retrouve dans sa dernière création, Blind runner qui est là encore, selon le mode opératoire de ce metteur en scène, un huis clos lent, où la folie surgit sans effet et sans violence, totalement résignée. Le code couleur d’Amir Reza Koohestani est toujours le gris, un peu clair, un peu foncé : un gris carcéral.
Pour dire l’inextricabilité du manque de liberté, le metteur en scène nous installe dans une histoire d’amour adultère. Lui, Mohammad Reza Hosseinzadeh, est libre et il aime deux femmes jouées toutes les deux par Ainaz Azarhoush. Son épouse est emprisonnée pour avoir posté un message sur les réseaux sociaux (on ne saura pas lequel). Et, sa maîtresse est une femme rendue aveugle lors d’une manifestation contre le régime. La scénographie tient dans les carrés de lumière d’Éric Soyer qui symbolisent avec minimalisme l’espace du parloir où l’homme rend visite à son épouse. Au centre de ces histoires, il y a le marathon. C’est là qu’ils se sont rencontrés il y a « sept ans, quatre mois et douze jours ». En même temps, il entraîne cette autre femme à courir un autre marathon, aux enjeux bien plus tragiques.
La pièce, d’ailleurs créée à Marseille dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts en mai 2023 nous raconte, de façon resserrée et calme, l’enfer de cette vie sous un régime de tyrannie. Cette double histoire d’amour est totalement impossible. Avec une femme en prison, l’autre prête à mourir pour fuir, Amir Reza Koohestani ne cesse de nous faire entendre, un peu à la manière d’une lecture, que le totalitarisme se niche dans tous les pores de la vie. Comme à chaque fois dans son théâtre, il utilise la vidéo avec intelligence pour augmenter l’entrée dans les tourments des personnages. Blind runner est jusqu’ici la pièce la plus désespérée qu’il signe. L’humour en est absent, et l’issue sans espoir. Une pièce aiguisée qui vous laisse à bout de souffle, désemparés.
Au théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’automne jusqu’au 20 octobre.
Visuel : ©Benjamin Krieg