Théo Mercier continue son exploration des matériaux de la ville contemporaine avec Skinless, une installation de métal et de carton. À la Grande Halle de la Villette jusqu’au 8 décembre, dans le cadre du Festival d’automne.
Oasis, Coca, Pepsi… Des tonnes et des tonnes de canettes jonchent le sol de la Grande Halle de la Villette. Jonchent ? Pas totalement. Car l’une des trouvailles de Théo Mercier est, pour mettre en évidence la taille démesurée de nos déchets, d’en proposer une version inspirée des compressions de César. L’effet provoqué par les nombreux blocs métalliques qui occupent la Grande Halle repose alors sur cette source implicite : malgré les différences d’échelle entre les petites canettes de Mercier et les voitures du célèbre sculpteur, l’immensité des compressions de Skinless exprime par son seul caractère monumental la masse de déchets dus à la surconsommation actuelle. Ainsi, il n’est nul besoin d’explication : la substitution des voitures par des sodas est en elle seule suffisamment parlante.
Pas d’explication, certes, mais une entrée progressive dans un monde qui, pour paraître voué à la casse, se meut sous nos yeux. Un premier personnage aux allures de monstre métallique attend ainsi le public sur l’un de ces gros cubes d’aluminium, l’air impassible. Si l’on y prête attention, toutefois, l’on s’aperçoit qu’un œil bouge, puis un autre. Il prend enfin vie pour nous conduire, étrange cicérone, dans une pièce où les cartons compressés ont remplacé les canettes.
Un énorme parallélépipède de carton, témoin lui aussi de nos gigantesques déchets, est éclairé par des néons orange. Le regard du monstre métallique nous invite à le fixer : un être, orange lui aussi, en sort peu à peu, bientôt suivi par un autre, aux faux airs de jumeau. Revêtus tous deux d’un justaucorps moulant, qui couvre leur visage autant que leur corps, ils semblent deux anonymes produits par ces monceaux d’ordures cartonnées. Mais les voilà qui commencent à jouer ensemble, se séduisant ou se combattant, tombant progressivement le masque.
L’une des réussites de cette installation-performance est de dépasser son sujet pour offrir au public un vrai moment de spectacle. Le carton et le métal deviennent rapidement l’identité des performeurs, mais des identités mouvantes, toujours menacées de disparition, et sans doute est-ce cela qui crée le dynamisme de l’ensemble et la profonde sensualité des combats des hommes-carton. Grâce à eux, nos détritus quittent le monde de la mort et de l’immobilité et semblent promis à une vie nouvelle.
Skinless, conception et mise en scène de Théo Mercier, avec Bruno Senune, Maxime Thébault et Aurélien Vieillard.
Visuel : © Erwan Fichou