Nina Santes propulse sur scène quatre personnages haut en couleurs dans Wet songs, un « spectacle musical décalé » qui met l’eau et le public dans tous ses états. Le festival Excentriques l’accueillait les 9 et 10 octobre 2025 à la Briqueterie du Val-de-Marne. Les interprètes se produiront ensuite les 27 et 28 mars 2026 au centre chorégraphique belge Charleroi Danse.
Une voix de cantatrice à la Maria Callas transperce le tumulte qui règne dans le hall de la Briqueterie du Val-de-Marne. Le brouhaha cesse progressivement, les têtes se lèvent vers la soprano Makeda Monnet, apparition magistrale en haut des escaliers. Elle transperce la foule pour rejoindre la salle plus loin. Comme envoûté – et pressé de voir ce qui l’attend –, le public venu assister à un nouveau spectacle du festival Excentriques s’engouffre lentement dans la salle. Ça-et-là sont disposées verticalement d’immenses chaînes sur lesquelles sont accrochées des bulles d’eau.
Une autre femme, seulement vêtue d’une côte de maille noire et d’un jean, tournoie follement aux quatre coins de l’espace. Elle crie, semble se battre contre quelque chose, ou tenter de se libérer d’un poids, d’une malédiction. La danseuse et performeuse Sati Veyrunes incarne ici un être qui paraît perdu et ne parvient pas à s’arrêter.
Sauf quand un·e bassiste, Wol, vient la calmer en entonnant une litanie ponctuée de beat-boxing et de bruits de bouche parfois dérangeants. L’artiste tisse un lien entre la parole et l’action, les mots et la nature, comme une incantation un peu vaudoue : “I will remember/That my actions will reverberate/The seeds will proliferate” (“Je vais me rappeler/Que mes actions vont se réverbérer/Les racines vont proliférer”)
Comme dans une comédie musicale, chanter fait avancer l’action. Mais dans Wet songs, la chorégraphe Nina Santes teinte parfois le genre d’absurde. Exemple avec le remplissage de verres d’eau dans des casseroles, tandis que Dalila Khatir se lance dans une prière exaltée pour guérir. C’est l’eau dans ce qu’elle a de plus banal, qui convoque aussi bien le spirituel que le trivial.
En convoquant cet élément fondamental, la performeuse montre qu’il jaillit dans toutes les interstices de la vitalité, du plus sombre au plus joyeux. L’eau est matrice de vie, en témoignent les chants vigoureux entonnés tout au long du spectacle. Pourtant, elle porte aussi en elle une pulsion de mort, que retranscrit Wet songs avec les chutes cycliques des cinq personnages.
« Il y a des marées dans le corps », affirmait l’écrivaine du XXe siècle Virginia Woolf. Nina Santes s’est inspirée de cette formule pour traduire les mouvements ondulants qui parcourent une expérience. La danse hallucinée de Sati Veyrunes en est une manifestation. Chacun·e des interprètes en proposent aussi une version propre. L’artiste Silex Silence choisit la parole poétique, et allie sa crise intérieure à la crise climatique : « Parfois l’absolu est amer et le présent alarmant,/Alors j’ai assez de bleus à l’âme/pour remplir un océan/Et comme lui j’existe à perte de vue ». Makeda Monnet, Dalila Khatir la force du chant lyrique et la transe qui habite leurs corps. Et Wol par la musique.
Dans Wet songs, cette galaxie de sensations portée par cinq interprètes aux talents opposés et complémentaires exprime les mille et une manières de faire corps, individuellement et collectivement. Avec l’eau comme catalyseur et comme calmant.
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