La Pop est une péniche culturelle amarrée quai de Seine, dont la programmation a pour fil conducteur la musique. Expérimentaux et radicaux, les projets questionnent sans cesse le rapport entre le son et la scène. Pour ouvrir la saison des (Re)Mix, Olivier Michel a convié la fine fleur de l’avant-garde à revisiter l’histoire d’amour passionnelle entre Néron et Poppée
Quand nous écrivons dans le chapeau de cet article que sur ce rafiot se trouve la crème de l’avant-garde, nous pesons nos mots et nous vous expliquons. Ce premier Re(Mix) accueillait en date unique trois performances de trente minutes chacune. Voici la guest list si VIP pensée en collaboration avec Élise Dabrowski : Béryl Coulombié, Daphné Biiga Nwanak, Baudouin Woehl et Manon Xardel, Samir Kennedy et Hannan Jones. Pour vous situer en seulement trois exemples, apprenez que Béryl Coulombié est la première artiste de l’histoire des Beaux-Arts de Paris à entrer dans les collections avec une performance, Fontaine, ensuite, Daphné Biiga Nwanak a reçu le Prix de la Révélation théâtrale de l’année par le Syndicat professionnel de la critique Théâtre, Musique et Danse, à ce moment-là pour son rôle dans Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier, et ça, c’était avant qu’elle fasse exploser la scène dans Nexus de l’Adoration de Joris Lacoste au dernier festival d’Avignon. Quant à Samir Kennedy, il est tout simplement le grand chouchou de la performance depuis qu’il a été repéré par La Ménagerie de Verre et le festival Actoral. Nous vous avons parlé de lui avec tout l’amour que nous lui portons à l’occasion de ses deux premières pièces, Chaos Ballad et The Aching. Voilà, comme ça vous situez le niveau de dingue proposé par La Pop dans sa toute petite jauge flottante d’une cinquantaine de places.
Tout commence avec une apparition qui colle aux yeux. On découvre Béryl Coulombié rapidement repliée sur elle-même. Elle se tient sur une estrade. Au centre, il y a deux panneaux qui forment un coin, le genre de coin où l’on se réfugie quand trop c’est trop, et là, c’est vraiment trop. Pur ti miro est un extrait du Couronnement de Poppée, le dernier opéra de Monteverdi. À écouter, c’est très très beau. Et puis, il faut un peu comprendre les paroles et tout le contexte qui a amené à cette rencontre entre ces deux-là. C’est simple, lui comme elle ont tout laminé sur leur passage. Parricide, meurtre, inceste, féminicide et j’en passe. La performeuse reçoit ce texte lu en pleine face, elle se transfigure devant tant d’horreur, son visage se métamorphose en un être monstrueux. Béryl aurait-elle inventé la grimace performative ? Certainement. Ensuite, une fois les mots avalés par les pores, elle les éjecte par le mouvement. Les poings serrés sur les yeux en guise de consolation deviennent des bras longs et puissants. Elle retourne les stigmates de ces vengeances et crimes à répétition et retrouve enfin un visage calme, apaisé et serein.
Après cinq minutes, nous changeons radicalement d’ambiance pour un geste plus théâtral. Daphné Biiga Nwanak, Baudouin Woehl et Manon Xardel sont metteur·euse·s en scène et comédien·ne·s. Baudouin est à la guitare, il joue la mélodie de Pur ti miro, Manon la chante et pour le moment, Daphné ne fait rien, jusqu’au moment où elle la coupe, les yeux ronds ébahis et la voix au bord du vocodage, elle nous annonce que La Pop va remettre « notre destin dans le chapeau de l’audible » et surtout, que nous devons patienter, qu’elle va prendre notre appel. Daphné est un répondeur puis une voix qui témoigne de choses graves. Ici, on ne tape pas sur l’étoile, mais on cligne des yeux, une fois si vous avez été victime de violences sexistes ou sexuelles, par exemple. Et entre-temps, le chant en guise d’attente, qui lui aussi témoigne. Le procédé est très bien ficelé et fonctionne à merveille, c’est même très drôle alors que, franchement, le sujet est très lourd. Cette performance nous fait entendre les paroles de ce monument de l’opéra et les traduit, il en ressort une leçon clinique d’emprise amoureuse. Pas si drôle.
Pour finir, on passe à table dans une ambiance décadente, la nappe est rose-layette-cheap et Samir Kennedy et Hannan Jones sont accoutré·e·s comme deux courtisanes débraillées après une grosse partouze. Iels doivent se détendre, on imagine bien que Néron et Poppée leur ont donné du fil à retordre, ou plutôt des boutons à malaxer. On le sent, la soirée a été animée vu le délabrement de leurs tenues aussi baroques que dénudées. Même si la proposition nous amuse, elle ne décolle pas vraiment, sauf quand Samir Kennedy se lève et pose enfin un geste, lui que l’on connaît très puissant, il avance bancal, forcément ces deux-là picolent et se baffrent, mais trop brièvement pour atteindre un choc qui dépasse un très chouette moment.
Les prochains (Re)Mix vont se dérouler pendant trois rendez-vous où des artistes d’aujourd’hui se réapproprient encore et toujours des morceaux mythiques. Le 27 septembre, Stimmung de Karlheinz Stockhausen (1968) inspire Parking, Konstantinos Rizos & Paola Stella Minni, et Paola Avilés pour une plongée dans la transe vocale et instrumentale. Le 4 octobre, Nina Santes, Lou Chrétien-Février et Alexandre du Closel se confrontent à l’érotisme disco de Donna Summer avec Love to Love You Baby (1975), hymne à la liberté sensuelle. Le 11 octobre enfin, Charak Gataa (1954) de Cheikha Remitti, reine du raï et pionnière féministe, résonne dans les performances de Nan Yadji Ka-Gara et Hélio Volana, entre rituel de soin et désir insurgé. Et toute la programmation est interdite aux moins de 16 ans.
Le 27 septembre, Stimmung (1968) de Karlheinz Stockhausen ouvre le bal du (Re)Mix #2. Le 4 octobre, Love to Love You Baby (1975) de Donna Summer précède, le 11 octobre, Charak Gataa (1954) de Cheikha Remitti.
Visuel : ©ABN