La nouvelle « Reconstitution : Le procès de Bobigny » d’Emilie Rousset et Maya Boquet au Festival d’automne

Éclairer la loi

L’installation est tout simplement magnifique. La lumière pensée par Laïs Foulc est un bijou. Douze cercles de chaises sont alignés dans la grande salle du T2G, vidée de ses sièges. Au centre de chaque cercle, un carré de lumière rappelle un feu de camp du XXIe siècle. En face, le travail vidéo de Louise Hémon défile, mettant en avant des statues symbolisant la justice.

La mise en scène parfaite d’Émilie Rousset fait le reste. Depuis quelques mois, les chorégraphes et metteurs en scène contemporains exploitent le son dans leurs œuvres d’une manière totalement nouvelle. Dans un geste très moderne, le public est ici équipé de casques, comme on a pu le voir il y a peu chez Gurshad Shaheman et Dany Dany Boudreault  dans Sur tes traces.

 Être libre

Le public se déplace librement et s’assoit autour de chaque intervenant.e, dont le nom et la fonction sont indiqués : Émile Duport, militant « pro-vie », Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, Christine Delphy, sociologue et co-fondatrice du MLF, René Frydman, spécialiste de la reproduction, Marielle Issartel, chef monteuse, Jean-Yves Le Naour, historien, Myriam Paris, spécialiste du contrôle des naissances à La Réunion, Véronique Séhier, co-présidente du Planning Familial, Claude Servan-Schreiber, témoin au procès, Véronique Champeil-Desplats, responsable du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, Françoise Fabian, comédienne et témoin au procès, et Marie Bardet, danseuse et militante pour le droit à l’avortement en Argentine.

Disposer

D’abord, quelques clés de lecture sont nécessaires, car cette performance exige d’accepter un certain flottement. Il faut un moment pour comprendre que les noms affichés sur les cartels devant les cercles ne désignent pas les personnes qui vont nous parler. Ensuite, il faut un second temps pour saisir que, dans les oreillettes des comédiens, la voix du témoin est bien réelle. Ce n’est pourtant pas une pièce documentaire, car les textes sont des montages. Nous sommes au théâtre.

Une fois le dispositif compris, il devient fascinant.

Faire foule

Émilie Rousset travaille par « strates ». Elle joue des allers-retours entre la fiction et la réalité, sans cesse. Le casting est exceptionnel, composé d’interprètes souvent associés à Joris Lacoste ou Vincent Thomasset, des acteurs et actrices au rapport à la voix presque radiophonique, on retrouve, en alternance :  Véronique Alain, Renaud Bertin, Aymen Bouchou, Hélène Bressiant, Antonia Buresi, Barbara Chanut, Rodolphe Congé, Suzanne Dubois, Stéphanie Farison, Thomas Gonzalez, Anaïs Gournay, Nan Yadji Ka-Gara, Emmanuelle Lafon, Anne Lenglet, Mélanie Martinez Llense, Olivier Normand, Aurélia Petit, Gianfranco Poddighe, Lamya Régragui, Ghita Serraj, Anne Steffens, Nanténé Traoré, Kevin Tussidor, Manuel Vallade, Margot Viala et Jean-Luc Vincent.

Transmissions

Le dispositif est activé pendant 2h30, ce qui signifie que l’on ne peut pas passer à toutes les « tables ». Chaque « spectateur » aura donc une perception unique de la pièce. Dans notre parcours, nous croisons Emmanuelle Lafon, qui a cofondé avec Joris Lacoste l’Encyclopédie de la parole. Assis avec elle, elle incarne avec fluidité les mots de Camille Froidevaux-Metterie. À noter que, à aucun moment, les comédiens ne cherchent à imiter « leur » témoin. Ils ne jouent pas ; leurs voix et leurs postures restent identiques, quel que soit le « personnage » dont ils transmettent les mots.

Sur le fond, bien sûr, il est captivant de se plonger dans les mots du procès de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. On comprend l’impact qu’il a eu, comme le rappelle Rodolphe Congé, qui, pour nous, « était » Véronique Champeil-Desplats, responsable du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux : « Faire un procès à la loi, c’est très nouveau à l’époque. »

Finalement, l’apport du spectacle dépend en grande partie des choix de chacun. Nous avons cherché à diversifier les voix, de la plus hostile (Émile Duport) à la plus sensible (Françoise Fabian), en ponctuant notre parcours de réflexions universitaires.

« Reconstitution, le procès de Bobigny » n’est donc PAS une reconstitution du procès de Bobigny, mais une réflexion historique très juste sur la transmission et l’impact de ce procès qui a tout changé. Camille Froidevaux-Metterie nous « dit » que le droit à l’avortement est « l’entrée dans la modernité démocratique ».  Depuis la création de ce spectacle, la liberté de recouvrir à l’IVG  est entrée dans la Constitution.  Cette inscription a été définitivement adoptée par le Congrès le 4 mars 2024