« Have a Good Day! » le capitalisme passe à la caisse au Festival d’automne

par Amélie Blaustein-Niddam
23.10.2024

Le Festival d’automne nous donne la chance de retrouver le trio composé de Vaiva Grainytė, Lina Lapelytė, Rugilė Barzdžiukaitė. Présenté également dans le cadre de la saison lituanienne à Paris, Have a good day ! nous installe dans le très chic Théâtre du Rond-point face à dix caissières chanteuses et un agent de la sécurité pianiste. Où quand la beauté croise la politique, cela donne un compte juste.

« Bonjour, merci, au revoir »

En 2019 à la Biennale de Venise, puis en 2023 au Festival d’automne, à la Villette, le trio nous emmenait au-dessus d’une plage pour Sun and Sea, un opéra sous écran total. En septembre, seule, Lina Lapelytė nous ordonnait de regarder l’avenir qui nous tournait autour dans The speech. En bref, le travail de ces performeuses et cheffes de chant est d’utiliser, un peu à la façon d’un Philip Glass dans Einstein on the beach, des mots très quotidiens et de les chanter comme si c’était le plus précieux des opéras. Pour Have a good day !, la scénographie déborde. Nous avons, sur scène, une rangée de dix chaises surélevées. Y sont assises dix femmes, en bleu de travail, bipeur dans une main, feuille de codes barres dans l’autre. À l’autre bout du long et étroit plateau se trouve un pianiste, costumé en agent de sécurité. Au-dessus d’elles et lui, on trouve des néons bien blancs qui avancent jusqu’au fond de la salle bien rouge, bien confortable et bien bourgeoise.abj

« Les concombres étranglent les radis »

Très vite, la voix nous emporte. Nous apprenons que dans l’ordre de création, Have a good day ! précède Sun and sea, ce qui explique son format plus simple. Oui, plus simple. Un public face à une scène sur laquelle se déroule une histoire. Cela n’en est pas moins efficace et performatif. Entrecoupés de ces bips si inconfortables, les actes se déroulent, de la description des produits, aux slogans du moment jusqu’à entrer vraiment dans l’intime de ces femmes réduites à des robots automatiques. La misère sociale se déploie, entre chaque passage, devant un.e client.e. invisible qui « achète, achète, achète ». On découvre les horaires abjects qui jettent dans la ville noire ces femmes avant six heures du matin et après vingt heures. On comprend que ce métier n’est jamais un choix quand une étudiante, rêve de faire sa thèse. La violence est là, dans la subtilité de ces chants portés par Indrė Anankaitė-Kalašnikovienė, Liucina Blaževič, Vida Valuckienė, Veronika Čičinskaitė-Golovanova, Lina Valionienė, Rima Šovienė, Erika Viselgė, Rita Račiūnienė, Svetlana Bagdonaitė et Kristina Svolkinaitė ; le plus souvent à voix nues. Quelques fois, Kęstutis Pavalkis, au piano, rajoute des boucles obsédantes à ce consumérisme abject.

« Le babeurre dort à poings fermés »

La partition est volontairement épurée, cela ne l’empêche pas de tourbillonner à l’image des milliers de passages anonymes à ces caisses invisibles. La banalité se sublime en art, ce n’est pas neuf, Mohamed El Khatib l’affirme spectacle après spectacle, mais la construction dans le fond et la forme de Have a good day ! est opérante. La disparition des caisses rend la place des caissières encore plus absurde. Ce chœur 100% féminin s’envole parfois dans des solos enveloppants et lumineux. Non vraiment, la beauté se cache parfois là où on ne l’attend pas. Et la politique est partout dans cet opéra-supermarché de 55 minutes, qui transforme les paroles les plus creuses en puissantes révélations.