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« Tancredi », le premier chef d’œuvre de Rossini, brillamment donné à Rouen


par Paul Fourier
17.03.2024

L’opéra de Rouen a réuni une belle équipe pour donner cet opéra rare et dédaigné en France. Une franche réussite !

En 1813, Rossini a vingt ans ; il n’est pas encore le génie créateur confirmé de l’opéra qu’il deviendra grâce à ses grands chefs-d’œuvre. Il évolue alors dans le Nord de l’Italie entre Venise, Bologne, Ferrare et Milan, et vient de connaître un succès éclatant à la Scala de Milan avec La pietra del paragone.
L’ascension du compositeur va bientôt s’affirmer fulgurante : obtenant une commande de la Fenice de Venise pour un opéra « sérieux », il s’apprête à créer son premier chef-d’œuvre.

Tancrède, de Voltaire à Rossini, et les éloges de Stendhal

Pour comprendre le Tancredi de Rossini, il faut s’intéresser à l’œuvre éponyme de Voltaire.
Outre ses qualités dramatiques et alors qu’elle était, notamment, destinée à regagner les faveurs de la Cour, par le biais de la marquise de Pompadour, sa pièce dénonçait, pêle-mêle, le pouvoir tyrannique, la peine de mort, la justice expéditive et le mariage forcé.

Le thème de la pièce se situe sur fond de conflits au tout début du XIe siècle. Les « Sarrasins d’Afrique » ont, depuis le IXe siècle, envahi la Sicile. Les familles syracusaines qui se déchiraient entre elles sont, malgré tout, parvenues à s’allier pour combattre les envahisseurs menés par Solamir.
Au sein de ces familles, Argire, un chevalier d’un âge avancé a promis sa fille Aménaide à Orbassan.
Tancrède, lui, est un chevalier d’origine normande, un intrus en quelque sorte, dans une période également marquée par les hostilités franco-anglaises de la guerre de Sept ans.
Le drame va s’articuler autour de l’existence d’une lettre d’Aménaide initialement destinée à Tancrède, l’homme qu’elle aime, mais que l’on va croire destinée à Solomir, l’ennemi.
Accusée de trahison, Aménaide sera condamnée à mort. De son côté, Tancrède se jettera à corps perdu dans la bataille contre Solamir. La fin du drame voltairien verra la mort de la jeune femme et Tancrède, victorieux, sera, lui, mortellement blessé pendant la bataille.

 

Cependant, de la riche intrigue de départ élaborée par Voltaire, il n’est resté, dans le livret de Gaetano Rossi, que les faits principaux qui s’avèrent, par conséquent, bien moins convaincants notamment en termes de crédibilité.

 

Cela étant, l’important avec ce Tancredi, c’est d’abord la musique car, de l’avis général, Rossini a composé là son premier véritable chef d’œuvre. Cette appréciation, s’avère toujours aussi juste aujourd’hui, tant la partition recèle de précieuses pépites.
Lors de la création, Stendhal avait insisté sur la belle énergie émanant de ce jeune compositeur alors au tournant de sa renommée. Il déclara « Ce qui frappe, c’est la jeunesse. Tout y est simple et pur. C’est le génie dans toute sa naïveté. C’est le génie vierge encore », ajoutant « Rossini venait de porter dans ce genre de composition (celui de l’opera seria) le feu, la vivacité, la perfection de l’opéra buffa… Il entreprit la besogne de porter la vie dans l’opera seria ».

Il est vrai que ce qui donne une inestimable valeur à cette œuvre passionnante, c’est que Rossini semble avoir déjà, là, concentré (et avec quel maestria !) le vocabulaire musical qui va bientôt faire sa gloire sous les formes diverses de cavatine, cabalette, duo en trois mouvements, concertato, grand final…
Les solos, duos, ensembles (dont l’ébouriffant Final du premier acte) et passages de chœur, tous aussi imaginatifs, se succèdent et sont, souvent, marqués par une virtuosité mettant à l’épreuve ses interprètes. Si les personnages sont peu nombreux, ils bénéficient tous de morceaux de bravoure conséquents, le célèbre « Di tanti palpiti » de Tancredi restant le plus connu.


L’on se doit aussi de rappeler une caractéristique de cet opéra de Rossini, à savoir, l’existence de deux fins. La première, celle de la création vénitienne, célèbre les noces des deux protagonistes. Mais lorsque l’opéra sera repris à Ferrare, Rossini composera alors un dénouement tout à fait saisissant qui donnera à voir un Tancredi, blessé mortellement sur le champ de bataille, qui expire alors que la musique se désagrège peu à peu.
Le public, désarçonné par ce dénouement tragique (comparable à ceux qui seront ensuite la marque de Bellini et Donizetti), manifesta son mécontentement ce qui conduisit, finalement, Rossini à rétablir « une fin heureuse » pour les représentations milanaises qui suivirent. Ce n’est qu’en 1974 que l’on retrouvera la fin de Ferrare, ce qui permit sa résurrection au festival de Martina Franca, en 1976.

Rousseau et Petrou en phase pour souligner la noirceur de l’œuvre

Tancredi est donc bien un drame sombre, violent même à bien des égards.
Et le metteur en scène comme le Chef d’orchestre ont fait en sorte que la musique de Rossini aille de pair avec cette atmosphère ténébreuse.

 

Pierre-Emmanuel Rousseau a situé l’histoire dans une espace noir, espace dans lequel toute couleur semble anachronique.
Il souligne qu’au tournant du premier millénaire, l’obscurantisme, le poids de la religion, voire l’Inquisition dominent, font la loi, et brisent les êtres, si nécessaire. Car les êtres faibles n’ont guère leur place dans ce jeu de massacre, à commencer par Argirio, le vieux roi, qui se retrouve ici, en permanence, manipulé.
Et, bien sûr, comme il se doit dans bien des livrets d’opéra de cette époque, la puissance masculine s’impose au détriment des femmes, et la première à se retrouver humiliée et martyrisée est Amenaide. 
Certes, la référence à la religion est parfois un peu répétitive, mais la vision de Rousseau s’accorde parfaitement avec la noirceur du drame.
Elle démontre que la musique qui peut paraître légère par l’omniprésente virtuosité, n’en reste pas moins l’illustration d’une histoire fondée sur l’asservissement de l’homme par l’homme, en prise avec les puissances négatives de toute société humaine.

 

Le Chef d’orchestre, George Petrou, a remplacé, quasiment au pied levé, Antonello Allemandi, empêché, qui a du quitter précipitamment le plateau pour de graves raisons personnelles.
Petrou ne manque pas de métier pour les opéras de Rossini (il conduisait Aureliano in Palmyra l’été dernier à Pesaro) et il a parfaitement su, là, s’appuyer sur une combinaison alliant sécheresse, grandiloquence et rapidité d’exécution, une combinaison qui lui a permis d’insister sur la tonalité dramatique de cette pièce seria.
Si l’on doit citer un des meilleurs exemples de la maestria du Chef, ce sera sa direction ultra-nerveuse de l’incroyable stretta finale du premier acte, un sextuor avec chœur tantôt lent, tantôt rapide, d’une imparable mécanique appelée à mener le spectateur à une véritable exaltation (une mécanique toute rossinienne, que l’on retrouvera ensuite dans Le barbier de Séville ou L’Italienne à Alger) .

Une distribution dominée par la merveilleuse Amenaide de Marina Monzó

Les trois airs d’Amenaide sont d’une incroyable beauté et Marina Monzó, la titulaire du rôle, possède un timbre opulent, une virtuosité à toute épreuve et dispose d’un très beau registre aigu, toutes qualités dont elle fait usage dès l’air du premier acte, un air aussi virtuose dans sa partie lente que dans sa cabalette.
Dans son premier solo de l’acte II (avec sa somptueuse introduction orchestrale et son accompagnement au cor anglais), Monzó utilise ses aigus piani enchanteurs, au service d’une émotion extrême, alors que l’héroïne se lamente en prison.
Enfin, l’on retrouvera cette douceur d’exécution dans le mouvement lent de son troisième air qui se clôturera par une cabalette ébouriffante de virtuosité confirmant ainsi le grand talent de la jeune artiste.

Du rôle titre, Teresa Iervolino possède certes bien des qualités vocales, mais dès son célèbre premier air (« Oh patria ! Dolce e ingrata patria (…) Di tanti palpiti »), l’on remarque qu’il lui manque sensiblement cette ardeur indispensable de héros travesti qui fait les grands Tancredi.
Son grand air du deuxième acte, très correctement exécuté, bénéficiera des mêmes qualités et des mêmes défauts. Cela n’empêchera pas les duos entre Amenaide et Tancredi, avec leurs arabesques combinées, de donner à entendre deux artistes parfaitement en phase dans des parties qui annoncent déjà les grands duos de Semiramide ou Norma.

 

En Argirio, si l’on passe outre une exécution souvent en force, Santiago Ballerini dispose d’une brillante voix rossinienne, très bien placée dans les aigus (quoiqu’un peu plafonnée dans le suraigu). Doté d’une belle ardeur et d’une endurance remarquable, il ne fera qu’une bouchée de ses trois (longs) airs d’une difficulté extrême.

 

De son côté, Giorgi Manoshvili incarne, avec un grand talent et une voix sonore, toute la noirceur de ce type de personnage rossinien qui semble ne s’épanouir que dans le mal.

Pour cette production rouennaise, si l’on peut regretter la disparition de l’unique air de Roggiero, celui d’Isaura permet à Juliette Mey, artiste récemment primée aux Victoires de la musique classique, de démontrer un beau talent, (malgré un volume un peu limité) dont on attend confirmation dans un rôle plus conséquent.


En mettant Tancredi à l’affiche de sa saison, l’Opéra de Rouen a rappelé que les scènes allemandes et italiennes n’ont pas, seules, le privilège de donner des œuvres moins connues du répertoire conséquent du prodigieux Rossini. Il a même démontré, avec ses spectateurs enthousiastes, que ce n’est pas la seule facilité qui paye, et que l’on peut remplir les salles avec autre chose que les sempiternelles Carmen, Traviata et Tosca.

Et l’on se réjouit d’avance de retrouver prochainement, sur cette même scène, Semiramide, un autre chef d’œuvre du Maître…

Visuels : © Marion Kerno / Agence Albatros