Il ne sera bientôt plus nécessaire de présenter Sahy Ratia (Ratianarinaivo pour l’état civil), lumineux ténor lyrique malgache à la voix tendre, délicieuse et au timbre solaire, qui retient l’attention dès son arrivée sur scène et enchante l’oreille du spectateur dès qu’il ouvre la bouche. Découvert par de nombreux critiques musicaux à l’occasion de son Nemorino dans L’Élixir d’amour à Avignon et surtout de son Georges dans La Dame Blanche à Rennes, Sahy Ratia rêve d’incarner un jour le Nadir des Pêcheurs de perles. Et nous, nous rêvons de l’entendre bientôt dans ce rôle qui lui ira comme un gant. Nous sommes allés à sa rencontre…
Ma famille apprécie et écoute beaucoup de musique sans pour autant s’intéresser particulièrement à l’art lyrique. Mes parents connaissent l’opéra, mais chantent plutôt dans les chorales, ce que j’ai également fait dès l’âge de 15 ans dans ma paroisse. Ce fut d’ailleurs mon premier contact avec le public ! Mais je me suis vraiment intéressé à l’opéra plus tardivement. J’ai commencé à étudier à l’âge de 20 ans, grâce à un professeur de chant, Pierre Catala, venu faire une master class à Madagascar, l’île où je suis né. Il m’a permis d’apprendre les bases de l’art lyrique. J’ai alors intégré la formation vocale d’une petite école (qui s’appelle Laka) à Antananarivo avant de poursuivre mes études avec Pierre Catala comme professeur au conservatoire du XVe arrondissement à Paris, ainsi qu’à l’école du chœur grégorien de Paris. C’était en 2012. J’ai fait deux ans de conservatoire municipal avant de tenter – et de réussir – l’entrée au Conservatoire national (CNSM) où j’ai fait toute ma formation, durant trois années.
Grâce à l’agence Adagio pour laquelle j’ai auditionné, pendant mes études au Conservatoire, j’ai eu la chance d’avoir rapidement des propositions. J’ai aussitôt eu quelques engagements, avant même d’obtenir mon diplôme ! Ma première scène a été ma participation à un projet avec Opera Fuoco au Théâtre des Champs-Élysées. L’opéra nommé « Cosi fanciulli », composé par Nicolas Bacri sur un livret d’Éric-Emmanuel Schmitt imagine les personnages de Cosi Fan Tutte encore adolescents qui se livrent à quelques facéties. David Stern était le chef d’orchestre et Jean-Yves Ruff le metteur en scène.
J’ai eu, en effet, plusieurs engagements très intéressants, comme ce Nemorino à l’Opéra d’Avignon en 2019 et, surtout, Georges dans La dame blanche à Rennes en 2020. Ce fut, malgré tout, difficile puisque nous étions dans la période des restrictions dues au COVID. Nous nous sommes retrouvés confinés au lendemain de la Générale au théâtre de Compiègne et nous avons eu peur de ne jamais pouvoir jouer cet opéra. Le lendemain chacun a dû repartir chez lui et les représentations ont été reportées à plusieurs reprises. Heureusement nous avons finalement eu la possibilité de faire un premier enregistrement à l’Opéra de Rennes qui a été retransmis. C’était en décembre 2020. La plupart des dates ont été reportées et non annulées – ce qui n’a pas été le cas pour tout, loin de là lors de cette période très sombre pour le spectacle vivant.
C’était compliqué… surtout avec les voisins du dessous qui n’étaient pas d’accord (rire). Mais il fallait absolument que j’entretienne ma voix. La reprise n’a pas été évidente du tout. Je me souviens d’une audition qui a suivi. Ce fut assez difficile car ma voix ne répondait plus aussi bien. Et puis, petit à petit, tout est rentré dans l’ordre !
Oui, en effet, au Théâtre de Compiègne d’abord, puis nous sommes revenus à Rennes. J’aime beaucoup ce rôle de Georges dans l’opéra de Boieldieu. Les critiques ont commencé à parler un peu de moi ce qui m’a fait très plaisir évidemment ! J’en profite pour dire combien j’apprécie certaines salles comme l’Opéra de Rennes, où je peux user de mes compétences en respectant la partition, en faisant le maximum de nuances. Il s’agit juste de donner notre voix sans être obligés de forcer. C’est naturel, et on peut voir jusqu’où on peut aller. Le public est proche, il n’y a pas de barrière entre lui et nous, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. En fait, dès que je vois le public, surtout de près, j’oublie mon trac et je m’amuse sur scène, j’ai envie de faire plaisir aux spectateurs et c’est un peu la fête !
Je citerai d’abord Tonio dans La Fille du régiment (Donizetti) au Théâtre des Champs-Élysées, en avril dernier, avec Hervé Niquet à la baguette. Voilà encore une salle que j’aime beaucoup ! C’était une expérience passionnante, le rôle est très exposé et difficile, mais très intéressant sur le plan vocal. C’était une version concertante donc moins excitante pour moi qui adore le théâtre. Être là, avec juste la partition, est plus limité car j’ai toujours envie de jouer le rôle et pas seulement de le chanter. Cela aide beaucoup et nous met plus à l’aise. Dans une version sans mise en scène, on est devant un pupitre face au public, un peu comme pour une audition. Heureusement pour La Fille du régiment, il y avait une petite mise en espace. C’est plus vivant et c’est même vital ; être le nez sur la partition, cela ne permet pas toujours de transmettre le sens de l’œuvre, les dialogues, l’incarnation du personnage.
J’ai pu aussi interpréter d’autres rôles que j’ai beaucoup aimés, comme Haroun dans Djamiley (Bizet) et Kornelis dans La Princesse jaune (Saint-Saëns), donnés à la suite l’un de l’autre à l’Opéra de Tours fin 2021, Ali dans Zémyr et Azor de Grétry à l’Opéra-Comique (une salle que j’adore également) en juin dernier, dans une mise en scène de Michel Fau ! J’ai chanté Marzio dans Mitridate (Mozart) à l’opéra d’état de Berlin, un rôle très intéressant avec des vocalises incroyables à la fin. C’était sous la direction de Marc Minkowski, un très grand chef qui sait proposer des interprétations musicales que je peux suivre sans problème (j’espère que lorsque l’inverse se produira, cela se passera bien aussi). Une captation vidéo a été réalisée d’ailleurs et on peut encore la voir !
Oui du théâtre à la japonaise, très statique. Nous étions comme sur un stand de poupées japonaises, chacun à sa place sur une étagère. Le fait de ne pas bouger du tout nécessite un peu d’entrainement. Il faut se détendre, oublier l’envie naturelle de faire des gestes, de se tourner. Nous devons rester comme une statue de cire. Pour autant, j’ai bien aimé cette expèrience. L’un de mes meilleurs souvenirs concernant les mises en scène, reste celle de la Dame Blanche où Louise Mignon mélangeait très bien théâtre et opéra ; c’était très enrichissant.
Effectivement je suis très attaché à l’opéra français. C’est quelque chose que j’aime énormément et je n’ai pas l’impression d’avoir besoin d’une technique spécifique pour chanter certains rôles de ce répertoire. À l’Opéra royal de Versailles, en octobre de l’an dernier, j’ai chanté Cynire dans Écho et Narcisse de Gluck sous la direction d’Hervé Niquet.
J’ai aussi adoré cette expérience de l’été dernier, au festival d’Aix-en-Provence, quand j’ai chanté Gilbert dans la version française de Lucie de Lammermoor (Donizetti). J’étais aux côtés de John Osborn qui chantait le rôle principal d’Edgar. C’est un formidable partenaire, très à l’écoute et très sympathique. Je me suis dit, qu’un jour, j’aimerais aussi chanter cet Edgard et pourquoi pas d’ailleurs, aussi la version italienne d’Edgardo. Là je rentre juste d’Athènes où je chantais le rôle de Sir Bruno Robertson dans I Puritani (Bellini), à nouveau aux côtés de John Osborn. J’espère, aussi, chanter, un jour, le rôle principal d’Arturo. J’ai beaucoup appris avec Osborn. Il est courtois, inépuisable au niveau chant, l’un des plus solides et des plus impressionnants. C’était ma première fois en Grèce, à Athènes, et ma deuxième fois avec Osborn. J’espère avoir d’autres moments avec lui, c’est bénéfique pour mon expérience.
J’ai récemment eu l’immense honneur d’avoir été invité à la Fondation des Treilles. C’est du 23 au 29 octobre. L’Académie de la Voix est dirigée par Ivan Alexandre, musicologue, metteur en scène. Il est assisté par Julien Benhamou, directeur de l’administration artistique du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence et conseiller au casting du Metropolitan Opera de New York et par Alain Perroux, directeur de l’Opéra National du Rhin. Puis, en novembre, je vais à nouveau chanter Marzio dans la reprise de Mitridate (Mozart) à Berlin, au Staatsoper et, comme l’an dernier, sous la direction de Marc Minkowski. Ensuite, en décembre ce sera au tour de Pedrillo dans L’Enlèvement au Sérail (Mozart) à Paris au Théâtre des Champs-Élysées. Ce sera une prise de rôle pour moi, avec Julien Chauvin et le concert de la Loge et une belle distribution !
Oui en effet. J’irai aussi à Hambourg, pour chanter Mercure dans Orfée aux enfers (Offenbach) avec Marc Minkowski à la direction, puis Liberto dans Le Couronnement de Poppée (Monteverdi) à Toulon et Le Pêcheur, Le Journaliste et Monsieur Lacouf dans Le Rossignol (Stravinsky) et les Mamelles de Tirésias (Poulenc) qui sont donnés ensemble à Nice en mai prochain dans la mise en scène d’Olivier Py.
J’en ai plusieurs ! Par exemple, je rêverai d’incarner Ernesto dans Don Pasquale (Donizetti) pour parler du répertoire italien, et en français, mon rêve c’est Nadir dans les Pêcheurs de perle (Bizet) que je n’ai pas encore chanté en entier même si j’ai donné des airs à plusieurs occasions dans des récitals. Ainsi que Tamino de La Flûte enchantée (Mozart) pour ce qui concerne l’opéra allemand.
Et puis je pense aussi au Postillon de Lonjumeau (d’Adolphe Adam) pour lequel j’étais la doublure de Michael Spyres durant les représentations de l’Opéra-Comique en 2019. Il se trouve que j’ai eu l’occasion d’assurer une des répétitions générales et, donc, j’ai le rôle parfaitement en tête ! J’en profite pour dire que cette fonction de doublure est très utile pour un jeune chanteur. Je fus, par exemple, la doublure de Philippe Talbot pour la Dame blanche à l’Opéra-comique et j’ai appris en grande partie le rôle à cette occasion.
Je pense que ma voix va évoluer et murir; peut-être comme celle d’un Gregory Kunde, ce qui me permettra d’aborder Rossini et, un jour, je l’espère, le rôle de Roméo dont je rêve également ! Et puis, je rêve aussi de chanter à la Scala ou à Garnier !
Oui, Alain Vanzo est l’un de mes modèles dans l’opéra français. Je le trouve parfait ! Pour moi, c’est exactement comme cela qu’on doit chanter. Parmi les artistes actuels, outre John Osborn, j’adore Javier Camarena. Ce sont des timbres et des styles que j’aime énormément.
On trouve, sur YouTube, des airs que j’ai chantés pour le concours de l’ADAMI en 2019, un concours où j’étais « révélation » (l’air de Chapelou dans le Postillon de Lonjumeau et celui de Ferrando dans Cosi Fan tutte), ou dans l’émission « fauteuils d’orchestre » en 2020 (« Au mont Ida » de la Belle Hélène), un air de l’opéra Un Rigoletto, adaptation en français pour les enfants de l’opéra de Verdi.
Visuel : © Studio Aurora.photo