Pour ce deuxième album, intitulé « Nessun dorma » le ténor Pene Pati offre une très belle prestation qui confirme qu’il possède l’un des plus beaux timbres des jeunes ténors actuels et un véritable sens de l’interprétation dans le répertoire lyrique.
Timbre lumineux et ensoleillé et forte expressivité, le jeune ténor, originaire des Iles Samoa, qui s’impose sur les scènes internationales, évoque irrésistiblement Pavarotti dont il possède le grain si particulier qui pourrait tromper les yeux fermés.
Mais il impressionne également par sa très belle ligne musicale et sa diction impeccable en particulier dans la langue de Molière. La qualité de sa diction et l’élégance de son chant à la française, avait déjà été remarqué dans son premier album, « Pene Pati »avec ses arias souveraines des Huguenots et de L’Étoile du Nord (Meyerbeer), de Polyeucte (Gounod) ou de Moïse et Pharaon et de Guillaume Tell (Rossini).
Il se produit dès fin septembre à l’Opéra Bastille dans le rôle principal du Faust de Gounod et nous offre à cette occasion, dans cet album, des titres extraits de cette œuvre qui ont d’abord retenu notre attention, d’autant plus qu’Emmanuel Vuillaume sera également de la partie à Paris.
Le chef d’orchestre l’accompagne sans excès, avec modestie dirait-on, appelant l’orchestre national de Bordeaux Aquitaine à caresser la belle voix chaude et rayonnante du ténor qui nous offre un diminuendo façon morendo « à la Kaufmann », sur le fameux contre-ut sur la cavatine de « Salut, demeure chaste et pure ».
Malgré les multiples fois où nous avons pu entendre de nombreux ténors dans ce célèbre morceau redoutable du fait d’un contre-ut qu’il ne faut en aucun cas crier et qui doit être amené avec douceur à partir d’un écart de notes important, nous apprécions la richesse de l’interprétation personnelle de Pene Pati. L’air est magnifiquement chanté, le ténor respectant les nombreuses nuances et couleurs, donnant un sens à chaque phrase (« que de richesses » en mode mezzo forte puis en mode piano avec ralentissement, par exemple), l’ensemble dans un français parfait.
Et cerise sur le gâteau si l’on peut dire, on a la très agréable surprise de découvrir la cabalette qui suit, l’allegro quasi-inédit, « Et toi malheureux Faust, c’est l’enfer qui t’envoie », généralement coupée lors des représentations. C’est un superbe morceau beaucoup plus mordant et dramatique qui complète le propos de Faust en apportant une vision sur le drame à venir. Pene Pati démontre une fois encore qu’au-delà du beau son, il sait donner un sens tragique à son propos tout en tenant longuement la note finale en mode « forte ». Espérons que la discutable acoustique de la Bastille ne gâche pas un peu cet immense talent !
Et l’on apprécie qu’il ait choisi également de présenter un extrait d’un autre Faust, celui de la Damnation de Faust de Berlioz, le célèbre « Nature immense » situé à l’acte 4. Rappelons qu’il a interprété l’ensemble du rôle sur la scène de l’Opéra de Monte Carlo en novembre 2022, prestation captée et retransmise sur Mezzo TV. La remarquable stabilité de sa voix qui s’appuie sur une technique solide, lui permet une fois encore d’adopter des changements de rythme qui font sens et de jouer sur les diphtongues en « r » qui évoquent les bruits de l’eau dans les torrents ou celui du vent dans les arbres. C’est une magnifique interprétation qui s’écoute avec plaisir à plusieurs reprises.
Pour l’acte 3 du Manon de Massenet, dans le même style et parfaitement dans les cordes du brillant Samoan, Pene Pati nous offre un souverain air de Des Grieux : « Je suis seul » puis « Ah fuyez douce image » tout en délicatesse sans jamais forcer ses beaux moyens. Les angoisses celui qui reste obsédé par Manon, les sublimes crescendos sur « dans le fond de mon cœur » pour amener un forte sur « Ah fuyez douce image » qui rend parfaitement bien compte des contradictions dans lesquelles se débat le Chevalier pour conclure sur un « Ah fuyez loin de moi » qui semble tellement dire le contraire…
Nous serons un tout petit moins enthousiastes sur le choix suivant, celui du « Pourquoi me réveiller, O souffle du printemps » du Werther de Massenet, à l’acte 3 avec son introduction « Traduire, ah bien souvent… ». Pourtant les premiers vers du poème sont plutôt élégants et admirablement prosodiés tout comme le crescendo qui précède le fameux « pourquoi me réveiller-er ». C’est ce dernier qui montre dans l’aigu « forte » une très légère instabilité, immédiatement rétablie avec le « Ô souffle du printemps » donné en mode « piano ». Ces réserves n’empêcheront pas que nous attendions avec impatience ce ténor passionnant qui se propose de chanter l’ensemble du rôle en début d’année prochaine à Genève et à Strasbourg, pour deux représentations en version concert. Nul doute que question romantisme et sensibilité, le ténor sera au rendez-vous de ce très grand rôle.
Les titres français qui suivent sont extraits d’œuvres moins connues de Gaetano Donizetti que nous aimons beaucoup. Et l’on rend les armes devant autant de grâce et de beauté, d’aisance et de recherches, dans l’interprétation de « seul sur la terre » extrait de l’acte 2 de Dom Sébastien. Ah cet aigu souverain et le beau legato de sa vocalise sur « c’est l’amour d’une femme, c’est le cœur d’un soldat » !
Dans le même style, le ténor ne pouvait éviter le bel extrait du Fernand de la Favorite (en version française) « la maîtresse du roi… Ange si pur » qu’il chante d’abord en mode piano, offrant un très beau legato là encore et de superbes nuances en voix mixte. Le style est enivrant et valorise cet air en lui donnant naturel et grâce. Donizetti lui va très bien et l’on ne peut que souhaiter de futures prises de rôle qui nous raviront !
En Italien cette fois mais toujours dans Donizetti, il choisit le plus bel air du pauvre Edgardo dans Lucia di Lamermoor, celui de l’acte 3, « Tombe degli avi miei (…) Fra poco a me ricovero ».
Là encore on apprécie le très bel accompagnement d’un orchestre qui souligne les phrases musicales dramatiques en respectant scrupuleusement les choix des nuances extrêmes qu’observe Pene Pati pour exprimer le désespoir et nous arracher des larmes dès le « Tombe degli avi miei, l’ ultimo avanzo/D’una stirpe infelice » (tombe de mes aïeux, dernier fils d’une famille infortunée) pour finir sur un « Rispetta almen le ceneri/Di chi morià per tè » (respectez celui qui meurt pour vous ) symbole de ce que l’opéra offre de plus intense pour évoquer la résignation devant l’horreur du destin.
Et dans la même veine, bien qu’issu du Macbeth de Verdi cette fois, Pene Pati offre le très beau et très émouvant air de Macduff « ah la paterna mano » que l’on trouve sur la plupart des enregistrements de ténors lyriques et auquel il apporte une fois encore son sens du rythme et des nuances très bien soutenu par l’orchestre et le chœur de l’Opéra national de Bordeaux. Et, comme pour montrer qu’il peut aussi donner de la puissance dans un chant guerrier, avec chœurs, son « Dove siam? (…) La patria tradita » issu de la même œuvre, sonne bien et juste. Le rôle de Macduff lui tend les bras, il y fera merveille en incarnant le personnage dans tous ses aspects.
Et puis le ténor a convoqué sa compagne, la soprano Amina Edris – qui chantera Marguerite dans Faust à Paris- et son frère, Amitai Pati, avec lequel il avait donné en janvier dernier au Théâtre des champs Elysées un « Haka » mémorable, parfaitement inédit en un tel lieu et très réjouissant.
Avec ce dernier, il exécute le duo endiablé, duel de ténors, extrait de Il Bravo de Saverio Mercadante « Non sai tu che non avrai più del ciel ». Quelques mots sur ce morceau particulièrement réussi où la complicité des deux frères est parfaite : Mercadante est un compositeur contemporain de Donizetti et Bellini et qui eut un énorme succès en son temps, avec plus de soixante opéras à son actif, mais a été depuis fort peu joué alors qu’il a produit quelques incontestables pépites que l’on prendrait plaisir à re-découvrir comme Il Bravo, son plus long opéra et son plus grand succès. L’œuvre, créée en 1839 à la Scala de Milan, met en scène une intrigue complexe avec vengeur masqué et multiples rebondissements romanesques dans une Venise mystérieuse. L’interprétation proposée est juste parfaite !
Avec Amina Edris, Pene Pati nous interprète un extrait de Frédégonde « Nous partirons ce soir ! ». Ernest Guiraud compositeur contemporain de Verdi et élève d’Halevy, est, lui, carrément tombé dans les oubliettes, sa Frédégonde ayant même été achevée par Saint-Saëns et Dukas (son élève) après sa mort en 1892, ce qui n’empêche pas ce duo de présenter une belle facture dans un style enlevé où le couple est à l’aise même si la soprano présente souvent une voix moins large que celle du ténor qui déséquilibre un peu l’ensemble.
Et c’est à trois que la famille Pati nous interprète un extrait de l’acte 2 de La Juive de Fromental Halevy, ce trio en forme de récit à trois voix, entre Eléazar, Eudoxie et Léopold où l’on regrette un peu que les deux ténors ne présentent pas suffisamment de différences de timbre, pour incarner ces deux rôles assez différents du chef d’œuvre du grand opéra français. Légères réserves pour un morceau là aussi, mené tambour battant avec cette richesse vocale et cet entrain qui caractérise l’ensemble de l’album.
Enfin le duo de l’Amico Fritz de Pietro Mascagni, complète ce choix, et rencontre un meilleur équilibre entre la voix fruitée d’Amina Edris (Suzel) et le timbre chaud de Pene Pati (Fritz). Leurs échanges sont très expressifs et nous écoutons une véritable scaynète où la complicité entre les deux artistes fait merveille.
Enfin l’album offre deux « Puccini » de référence. D’abord l’air de Rodolfo de La Bohème, un rôle que Pene Pati a déjà eu l’occasion d’interpréter sur scène notamment au théâtre des Champs-Élysées en 2023, « Che gelida manina ». C’est d’ailleurs dans cet air qu’il était le plus impressionnant ce qu’il confirme sans problème au disque, montrant une fois encore son art des nuances et des couleurs qui fait merveille dans Puccini.
Reste le morceau de choix, le célébrissime « Nessun dorma » extrait du Turandot de Puccini, qui donne son nom à l’ensemble de l’album. C’est le premier titre et il est fort bien interprété. Pene Pati l’a chanté en récital en « bis » et comme tous les ténors de qualité, il en fait une sorte de trophée. Mais disons-le franchement, ce n’est pas l’intérêt principal de l’enregistrement. C’est plutôt une petite coquetterie qu’on lui pardonnera aisément en soulignant cependant que, pour l’essentiel, l’intérêt de l’album réside dans tous les autres titres, assez éloignés de ce répertoire lyrico-spinto qui caractérise l’ensemble du rôle de Calaf.
Nous attendons donc, le ténor sur scène à Paris dans Faust pour la reprise de la mise en scène de Tobias Kratzer dès le 26 septembre, puis en Werther à Strasbourg et Genève, deux prises de rôles très attendues !
Et c’est un deuxième album qui marque cette rentrée riche en sortie de récitals, par la qualité de l’accompagnement de l’orchestre national Bordeaux-Aquitaine, sous la direction de Emmanuel Vuillaume, la réalisation soignée du label Warner Classics, et l’excellence d’un ténor jeune, brillant, passionnant et qui possède un charisme très personnel du timbre et du style, qui séduit aussitôt l’oreille de l’auditeur.
Et l’on a envie de dire : décidément tout lui réussit dans le répertoire qu’il choisit !
Emmanuel Villaume, Pene Pati, Amina Edris, Amitai Pati, Orchestre National Bordeaux-Aquitaine / Choeurs de l’Opéra national de Bordeaux.
1 CD Warner Classics, sorti le 20 septembre 2024.
Photo © Warner Classics pour le CD
Photos OnP, répétitions de Faust, Pene Pati/Amina Edris, © Franck Ferville