Carmen, la femme fatale de Mérimée et Bizet, est plus libre que jamais dans la version « paysage itinérant » imaginée par Jeanne Desoubeaux et la compagnie Maurice et les autres. Une performance immersive, festive et délicate en trois tableaux, qui fait croire à l’éternelle jeunesse.
Inaugurée au mois de juin à la Cartoucherie de Vincennes dans le cadre du festival, cette Carmen décide de briser tous les murs de la scène. « Il n’y a pas de rideau », dit à un moment un des soldats. Et comment ! Transposée dans le cadre exceptionnel du musée de Port-Royal, juste au-dessus de la mythique Abbaye, elle est une invitation à entendre les chœurs des Bohémiennes depuis la cour de la fabrique de Tabac. Puis à suivre une bande de jeunes de la fabrique de cigares à la guinguette de Lillas Pastia (superbe tableau en plein bois). Et enfin, à voir comment « elle le quitte, il la tue » dans un musée transformé en arène.
Entre chaque tableau, le public, sollicité, pris à parti, secoué, rejoint cette troupe jeune et hyper douée et se retient à peine de chanter à tue-tête les airs si célèbres de l’opéra de Bizet.
Musicalement, l’adaptation nomade de l’œuvre est un délice. En effet, les voix sont merveilleuses et les instruments inventifs : le piano devient instrumentarium dans les bois et piano de cabaret à la fabrique et dans l’arène, le trombone et la trompette résonnent avec les instruments de l’armée, les ukulélés, les percussions et surtout la clarinette poussent Carmen du côté de la musique tzigane. Et le violoncelle et… les silences viennent à point marquer les instants tragiques. L’énergie et la maestria des artistes, qui maitrisent le chant, leurs instruments, les arts de la rue et aussi la danse redonnent un sacré peps à l’héroïne de Bizet. Les costumes sont sobres et efficaces : des ceintures soulignent les silhouettes en pantalon des Bohémiennes et ce n’est pas Carmen, mais le Toreador qui est le plus sexuel des personnages, torse nu et en maillot de sport…
Si la « troupe » de Carmen est, dans un premier temps, maquillée avec outrance pour que les artistes se différencient du public, la chaleur aidant, le rose aux joues fond. Et des verres aux cartes de tarots qu’on nous tend, nous nous immergeons de plus en plus dans l’intrigue de Carmen… Et ses questions politiques : qu’est-ce qu’une légitime défense ? Qu’est-ce qu’une femme libre ? Ou plutôt des femmes libres, car Carmen chante souvent en trio ! Qu’est-ce que déserter ? Et, au cœur de l’arène intérieure et nécessairement sombre que forme le dernier tableau, la question du féminicide n’est pas éludée. Carmen est donc un grand spectacle, contemporain, plein d’énergie, accessible à toutes et tous et simplement enchanteur.
Carmen, d’après Georges Bizet, Mise en scène : Jeanne Desoubeaux, Direction musicale : Jérémie Arcache et Igor Bouin, Assistanat à la mise en scène : Louise Moizan, Scénographie / espace / habillage : Cécilia Galli, Costumes : Alex Costantino assisté de Nathalie Matriciani, Avec : Anaïs Bertrand (Carmen), Igor Bouin (Zuniga), Solène Chevalier (violoncelle), Jeanne Desoubeaux (Lillas Pastia), Jean-Christophe Lanièce (Escamillo/Morales), Vincent Lochet (clarinette), Pauline Leroy (Mercedes), Flore Merlin (piano), Martial Pauliat (Don José), Agathe Peyrat (Frasquita). 2h.
Visuel © Jean-Louis Fernandez