La soprano, accompagné de Yusif Eyvazov et de Luca Salsi a brillé de tous ses feux dans la reprise de la mise en scène de Hugo de Ana.
Nous avions déjà eu l’occasion de voir, en 2023, la nouvelle production de l’Opéra de Puccini, et de donner notre avis, qui était plus que mitigé. Si quelques scènes semblent avoir été revues à la marge (notamment l’ajout de canons très spectaculaires pour le Te Deum), la reprise souffre encore de carences perceptibles dans les scènes les plus intimistes où le gigantisme de mise à Vérone semble parfois annihiler la tension de certaines scènes clés. Pour le reste, on navigue dans une conception ultra-classique dans laquelle peut se retrouver le public habituel de Vérone dont un grand nombre n’est, probablement pas, spécialiste d’opéra.
Il aura donc fallu se fier au trio de chanteurs pour nous transmettre cette tension. Et de ce côté-là, le public a pu être subjugué.
Un avantage pour les Stars, c’est que l’on suppose qu’elles ont fréquemment une voix déterminante et suivie pour le choix de leurs partenaires. Anna Netrebko est, depuis fort longtemps, en Italie notamment, accompagnée de son (désormais ex-) mari, Yusif Eyvazov et du baryton Luca Salsi. Si l’on a pu dans le passé parfois regretter cette constance et le sentiment de toujours devoir faire avec les mêmes protagonistes, on a surtout perçu, en ce 2 août, le plaisir d’une grande homogénéité de la part de trois artistes qui ont pu user de leur proximité pour donner aux duos et trios toute leur puissance.
C’est Yusif Eyvazov qui aura ouvert le bal avec un « Recondita armonia » somptueux, le ténor, porté par une longueur de souffle absolument impressionnante, aura joué d’aigus magnifiques et d’une stabilité exemplaire.
Lorsqu’Anna Netrebko entre en scène, elle est, d’emblée, accueillie par une salve d’applaudissements et si un vibrato certain est présent dans sa voix de miel, qu’elle use un peu trop de ses graves – qu’elle réservera ensuite judicieusement aux moments de contrariété de Floria -, elle impressionne immédiatement par sa présence irradiante. D’autant, l’a-t-on déjà dit, qu’elle entretient avec son camarade une proximité d’artiste et de femme qui rend à tout moment crédible le duo d’amoureux et la jalousie de la Diva. Les deux voix sont en total diapason et cette partie d’acte I est rendue assez irrésistible par le jeu de la Netrebko qui n’hésite pas à faire exagérément des manières dans ses références aux les yeux de l’Attavanti et à piétiner le tableau incriminé.
Dans le duo qui suit avec Angelotti (excellent Gabriele Sagona), Eyvazov, après avoir craché son venin sur Scarpia, ose un « La vita mi costasse, vi salverò » éblouissant. Puis, après un passage choral très soutenu par les chœurs d’adultes et d’enfants des Arènes de Vérone, et la rencontre Tosca-Scarpia, ce sera un tout aussi impressionnant (tant vocalement que scéniquement) Te Deum soutenu par le tir cadencé des canons, la direction lente et emphatique de Daniel Oren et le chant puissant du chœur.
L’acte II – faute à la mise en espace des décors de Hugo de Ana et à l’immensité de la scène confrontée au bureau de Scarpia ? Lenteur excessive du chef ? – souffre d’un manque de dramatisme et les solistes peinent véritablement à insuffler la tension nécessaire à cet acte suffocant avec sa scène de la torture et même le « Vittoria ! » trompetant d’Eyvazov.
Finalement, l’acte va basculer à partir du « Vissi d’arte » où LA Netrebko va réaliser l’impossible, grâce à sa technique et son sens incroyable du moment, un moment où le public effaré comprend qu’il se passe quelque chose, quelque chose que l’on hésite même à qualifier d’historique. L’air débute de manière classique montrant la soprano certes en grande forme et prête à dispenser ce « tube » de très belle manière. Puis soudainement, la magie se produit sur le « perché Signor » où l’aigu déchirant par un vibrato, d’abord forte, s’allège et reste suspendu dans l’air une vingtaine de secondes, le « ah, perché me ne rimuneri cosi ? » se terminant dans la même veine, magique. Le public médusé réserve alors un triomphe à l’artiste, tentant même de lui arracher un bis alors que, comme sous le choc de ce qu’elle vient de réaliser, elle reste pétrifiée en scène. On ne se hasardera pas à dire que ce « Vissi d’arte » fut l’un des plus beaux entendus, car il fut porté par de plus beaux timbres. Mais, on pense pouvoir dire qu’il fut l’un des plus spectaculaires de l’histoire de l’opéra. Il ne restera plus à Tosca que de tuer Scarpia (dont les râles feront tout de même rire l’assistance), dans un mélange étudié de rage et d’effroi, nouveau signe de maîtrise totale du rôle de sa part, puis de sortir de scène royalement sur les tempi alanguis du chef.
L’acte III, illuminé par le très contrôlé « E lucevan le stelle » (pendant lequel la direction d’Oren, tout en noblesse, faisait encore merveille) orné de piani et couronné d’aigus déchirants, un air pour lequel Eyvazov n’ose rien de larmoyant ni d’ostentatoire. Un air en somme chanté avec toute la rigueur dû à Puccini et loin des emportements que l’on observe souvent. Après son retour en scène Netrebko a un vibrato un peu envahissant et une voix moins contrôlée, mais le duo d’amour avec Cavaradossi montre les artistes à leur meilleur. Le final finira par l’apothéose de Netrebko partant de manière avec tout le spectaculaire nécessaire au rendez-vous de « Scarpia, avanti a Dio ! »
Tosca est un opéra miraculeux, probablement le plus beau de Puccini. Par son livret exemplaire et par sa superbe musique, il manque rarement d’exercer son pouvoir d’attraction sur le public. Mais lorsque surgit l’extraordinaire, il permet – surtout sous le ciel de Vérone – de permettre aux artistes et au public de toucher les étoiles. À ce titre, et grâce à un air très (trop ?) célèbre où l’inattendu et le talent extrême se sont manifestés, c’est ce qui nous a été offert en ce 2 août 2024.
Visuels : © EnneviFoto