« G.R.O.O.V.E », la belle création marrone de Bintou Dembélé

Inspiré par le travail de la chorégraphe avec Clément Cogitore lors de la création des Indes galantes (2017), G.R.O.O.V.E mêle danses populaires et baroques, le tout rythmé par la musique de Rameau.

Un métissage de formes et de genres

Convaincue du lien intrinsèque entre danses urbaines et lutte contre les injustices et les discriminations, Bintou Dembélé entend rendre sensible cette relation par une succession de spectacles, performances et projections qui envahissent l’ensemble des salles de la scène nationale de Bobigny. Quoi de mieux, en effet, que de mêler les genres pour montrer la variété des exclusions ?

Ce métissage informe l’ensemble des techniques mobilisées : les danses, certes, du hip-hop au pantsula en passant par le voguing et le popping, mais aussi les costumes d’Anaïs Durand Munyankindi, qui marient avec ingéniosité blue-jean et crinoline. Le jeu des lumières, créé par Benjamin Nesme, n’est pas en reste, puisqu’il nous plonge par instants dans une obscurité profonde avant d’éclairer avec force la salle Oleg Efremov d’une rosace de douches aux allures de lustre versaillais. La musique, elle aussi, fait succéder au baroque de Jean-Philippe Rameau la musique minimaliste de David Lang.

Cette diversité est soutenue par celle des dispositifs qui accueillent spectateurs et spectatrices : une performance à couper le souffle, un reportage vidéo qui fait le point sur les origines transgressives des chorégraphies urbaines, un concert chorégraphié dans le hall du théâtre…

Un hymne à la « rualitė »

Toutes les danses ici fêtées ont pour point commun une naissance modeste, celle de la rue. Ainsi en est-il bien sûr du hip-hop ou du pantsula, mais aussi de toutes les danses populaires, d’hier et d’aujourd’hui. G.R.O.O.V.E se définit ainsi comme une réhabilitation de ces éclosions bien humbles.

Dans cette optique, les faire côtoyer le baroque, musique et danse, n’est pas anodin : la musique de Rameau suffit à accorder à ces danses longtemps dénigrées de scintillantes lettres de noblesse. La posture altière de certain·es danseur·ses, hiératiques, s’oppose à l’ancrage terrestre des autres, qui semblent inexorablement attiré·es par la gravité.

Une grande force expressive

Tout cela ne serait rien sans la grande force expressive des différentes propositions soumises au public. Le reportage vidéo est aussi émouvant qu’informatif, quand la danse finale, qui réunit l’ensemble du crew en un spectacle redécouvrant le hip-hop au rythme des Indes galantes, donne une nouvelle force à des mouvements que l’on croyait connaitre. Quant à la performance qui rejoue avec sérieux et simplicité l’enchaînement et la pendaison des esclaves en fuite, elle marque durablement les sentiments, plus que l’esprit, des spectateur·rices.

À n’en pas douter, cette réussite esthétique tient précisément au choix du métissage, qui crée un entre-deux dans les formes comme dans leur réception. Les tubes de LED qui agissent, autant que la musique, comme fils conducteurs d’un moment à l’autre, jouent ainsi l’ambiguïté : le feu qu’ils figurent est-il celui de la veillée des esclaves marrons ou du bûcher qui les attend ? Cette hésitation participe du succès de cette soirée forte et émouvante.