Au Festival la Maison Danse à Uzès, Marion Carriau présentait en première mondiale sa toute première création en tant qu’artiste associée au lieu. Un projet sensible et cuivré sur les émotions d’enfants.
La danseuse et chorégraphe que nous avions vue l’année dernière en compagnie de Magda Kachouche performer un Chêne Centenaire post-apocalypse en pleine forêt repasse en intérieur pour L’Amiral Sénès. Et la première question que tout le monde se pose est bien sûr : mais qui est-il ? Elle nous a répondu : « L’Amiral Sénès est un mythe familial. Mon père m’a toujours raconté que nous avions, dans notre famille, un aïeul amiral qui avait une statue à Toulon. Cela sans aucun autre détail. Cette histoire (finalement très lacunaire) a été pour moi le terrain de tous les fantasmes. Ne sachant pas bien ce qu’était un amiral, ni l’époque à laquelle il avait vécu, ni comment nous étions reliés, ni ce à quoi ressemblait la statue, j’ai tout inventé. J’imaginais cette figure héroïque juchée sur un cheval, au centre d’une place faite de verdure et de cascades…». Sur scène, on entend d’abord une mélodie jouée à la fanfare, le son est comme connu, mais on ne le connaît pas vraiment. Et puis l’image arrive. La statue de l’aïeul est rendue à l’idée d’un bloc brut en aggloméré. Le «truc» ressemble à un décor de série B, ou de film futuriste laissé à l’abandon. La scénographie de Rémy Ebras oscille entre le beau et le kitsch avec une écriture de lumière progressive très originale.
Et puis viennent les corps. On le sait, c’est écrit, la pièce est un trio. Et pas des moindres. Marion Carriau a réuni trois interprètes aux singularités fortes : Yannick Hugron, Clémentine Maubon et Maeva Cunci. Toustes les trois ont des carrières propres et des écritures profondes. La chorégraphe les fait apparaître sur scène tel des suricates attiré.e.s par une proie. La proie ici, c’est le son. Le son de la fameuse fanfare, fantasmée, disparue, entendue un jour peut-être, dans les souvenirs. La danse est mécanique, inspirée par les petits soldats de plomb. Les dos sont raides et les visages exorbités. Les voix accompagnent les articulations raides des membres. Les sons qui sortent des bouches sont tout aussi coincés, comme un mot qui ne veut pas sortir, posé là sur le bout de la langue.
La grande force de la pièce réside dans sa dérision et dans son aspect cartoon des années 60. Le trio qui va d’étonnement en étonnement dans sa quête de la fameuse fanfare s’éclate à marteler le sol à l’aide de Dr. Martens très plombées. Là encore, le son est un personnage en soi, qui convoque autant les défilés militaires que les écritures contemporaines de danse traditionnelle (Mayer, Rizzo, Aina Alegre et Yannick Hugron !). La rigidité des colonnes et des épaules pousse le mouvement à trouver des solutions pour pouvoir exister dans une forme de rondeur. Et cette solution est bien l’humour. La pièce de Marion Carriau prendra en puissance au fil des représentations, elle a en elle un matériel aussi solide qu’une statue indéboulonnable.
Le Festival La Maison Danse Uzès continue jusqu’au 9 juin avec notamment le 8 les intimes et puissantes Consultation (en réponse à Emmanuel) de Melanie Perrier et le delirant Blast ! de Ruth Childs
Visuel : ©Pascale Cholette