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La Maison de la danse de Lyon brûle sous les feux d’Hortense Belhôte et Marco da Silva Ferreira

par Amélie Blaustein-Niddam
15.10.2023

Deux semaines après la fin de la Biennale de la danse, Tiago Guedes lance un nouveau format, les House on fire de la Maison de la danse. Au programme de ce vendredi 13 octobre : une performance théâtrale, de la danse pure et un dance-floor en folie. On a dit nouveau !

House on fire

Ce week-end, la Maison de la danse de Lyon inaugurait deux moments-clés, deux moments qui permettent de comprendre en une seconde tout le projet du nouveau directeur du lieu, pleinement aux commandes désormais, Tiago Guedes. Il est 19h, le hall grouille de monde et d’activité. La soirée House on fire a déjà commencé. Ici un stand de maquillage pour briller sous des paillettes bien posées. Là, un blind test de clips de danse qui se prépare. Nous nous dirigeons vers le « studio » pour voir le premier spectacle de la soirée : Performeureuses dHortense Belhôte. Sauf que tout cela n’a rien de classique. Normalement, le hall compte un restaurant et des espaces d’accueil et le lieu une seule grande salle. Le studio est tout simplement un nouveau théâtre dans le théâtre. Une salle confortable de 100 places avec un rapport scène-salle de rêve. Faire déborder la danse de son seul écrin, tel est l’objectif de Tiago Guedes. Faire déborder la danse pour la rendre super visible et accessible, pour que les ponts se tissent entre les générations et entre les types de spectacles aussi. Cela ne vous aura pas échappé, si vous connaissez un peu le travail de la plus historienne des performeuses, son aire de jeu est plutôt théâtrale.

 

Indulgence, mon psy est en vacances

Dès les premières secondes, le décor pose le cadre d’un second degré assumé. Il y a au sol un tote bag sur lequel est inscrite la phrase « Indulgence, mon psy est en vacances ». Sur un grand écran sont accumulées des photos de danseurs et danseuses, on reconnait des icônes telles Joséphine Baker ou Loïe Fuller, par exemple.  Puis, elle arrive. Toujours l’air un tout petit peu ahurie, presque surprise de nous voir là, nombreux et nombreuses dans cette toute nouvelle salle. C’est la méthode Belhôte:  nous raconter des trucs super pointus d’une façon très accessible grâce à des illustrations bien foutraques. Le fil conducteur de cette leçon est Le Printemps de Botticelli. La peinture si connue dévoile neuf personnages,  chacun permet à Hortense de parler d’un élément historique. Par exemple, la figure de Mercure et son caducée lui permet de nous présenter Le Rituel du serpent d’Aby Warburg. L’élément historique est ensuite raccroché au temps présent, car nous dit-elle, « La performance est un art au présent ». Mercure puis Aby Warburg lui offrent l’occasion de parler de la danse qui soigne (Anna Halprin, Bill T.Jones..). Et ainsi de suite jusqu’à l’étrange Zéphir qui souffle en ayant une allure bizarre. De la sorte, Hortense Belhôte peut traiter de manière quasi totale de l’histoire de la performance en danse contemporaine depuis les débuts du XXe siècle, de Loïe Fuller, à Marlene Monteiro Freitas en passant par Steven Cohen, Vasla Nijinski, Marta Graham..). Dans son jeu et dans ses costumes (vous allez mourir de rire en la voyant en imitatrice de Dalida), la comédienne oscille entre recherche universitaire et séquences ludiques. À la fin, on maîtrise bien la période, on a appris des choses sur un sujet que nous pensions connaître parfaitement et on en sait un peu plus sur la carrière d’Hortense Belhôte. (On rêve qu’elle remonte sur scène son spectacle à Dalida, cet article est un appel !)

Il est temps que tous les murs tombent

En sortant de ce spectacle, on découvre une Maison ouverte, chaleureuse. Les verres s’entrechoquent, les gens mangent, discutent et surtout se battent pour tout rafler au blind test gigantesque qui se déroule dans le restaurant vidé de son mobilier. Certain.es restent en bas pendant que d’autres montent pour accéder à la salle principale de la Maison de la danse pour voir la dernière pièce de l’un des six artistes associés du lieu, CARCASS de Marco da Silva Ferreira

Dans cette pièce, avant les corps, vient le rythme. Un batteur commence à marteler un tempo rapide dans lequel se jette un interprète, seul pour le moment. Son solo vient nous ancrer dans l’énergie profonde, dans les recoins de cette fameuse carcasse, très allégorique. Au centre du plateau, un tapis de danse blanc. Il ne recouvre pas tout l’espace de scène et c’est important. Tout le spectacle est un manifeste queer, il montre comment en partant du bord on peut finir par avancer fièrement et avec une unité féroce en prenant toute la place nécessaire.

CARCASS a beaucoup évolué depuis sa création. Aujourd’hui, l’écriture plus précise donne à voir des mouvements très originaux. Des mains comme des plumes, des bassins ultra mobiles, et surtout, la vraie révélation : ces rebonds sur  pieds croisés qui font basculer les chevilles de part et d’autre.  Le mouvement est hybride. Il convoque autant les codes du voguing que ceux des danses traditionnelles portugaises. La musique convoque la révolution des Oeillets par exemple.

Dans un travail très connecté avec l’époque, Marco da Silva Ferreira, danseur ultra physique, est également au plateau. Il a aboli toute hiérarchie entre les êtres.  La horde est multiple. À ses côtés, on trouve André Garcia, Fábio Krayze, Leo Ramos, Marc Oliveras Casas, Maria Antunes, Max Makowski, Mélanie Ferreira, Nelson Teunis et Nala Revlon. Toutes et tous sont très différents. Tatoué.es, grand.es, petit.es, les cheveux longs ou courts. Ils et elles sont vétu.es d’académiques découpés laissant voir la peau.

Si CARCASS est militant, il arrive surtout à allier le pointu et le mainstream sans perdre en exigence. Cela n’est pas si fréquent. Cette fameuse complexité joyeuse théorisée par Tiago Rodrigues  est là, vivante et généreuse. L’écriture est facile à lire, pas besoin d’être féru de danse pour comprendre. Le mouvement est hybride. Il convoque autant les codes du voguing que ceux des danses traditionnelles portugaises. La chorégraphie alterne les solos dans les temps de groupe ainsi que des pas de deux au travers de l’espace de scène comme le demande l’une des danses folkloriques qu’il convoque : le rancho. Les danseurs et danseuses sont tous et toutes très puissant.es. Iels éblouissent dans ces accélérations. La pièce se termine dans une ovation. CARCASS est brûlant, c’est indéniable.

Et d’une façon délicieuse, directement en sortie de salle, nous sommes cueillies par la techno pointue et électrisante de Perrine du collectif Unit Sœurs. Il est temps de mettre le feu au dance floor cette fois !

Pari plus que relevé donc pour cette première d’une série de quatre House on fire.

Tout le programme de la Maison de la danse de Lyon est ici.

Visuel : ©Jose Caldeira