Pour le second programme du matin, la Belle Scène Saint-Denis fait déborder le plateau en invitant quatre compagnies et pas des moindres à présenter des extraits tous brillants de leur travail : Guillaume & Harold (extraits) de Gaëlle Bourges, Jean-Romuald, un garçon de son âge (titre provisoire – étape de travail) de Mickaël Phelippeau, [Superstrat[ de Anne Nguyen et Amazigh in Situ de Filipe Lourenço.
Tout le travail de la chorégraphe consiste à rendre vivants les personnages peints au XIVe siècle. Comme elle l’a fait avec Pétrarque, Lascaux ou La Dame à la Licorne, son objet n’est bien sûr ni de faire un exercice de style, ni un cours d’histoire de l’art, mais bien de faire écho entre une œuvre et notre époque. Là, elle s’attaque à la tapisserie de Bayeux. Petit point de contexte : cette tapisserie raconte, au rythme d’un clip, la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. À nous les espions, les mers, les terres et les couronnes !
Pour camper tout ce beau monde, ils sont deux, armés de bouts de carton bien découpés. Camille Gerbeau et Pedro Hermelin Vélez sont habillés de façon très rigolote : combinaison short en jean, collants de couleur assortis à leur ceinture et à leurs chaussures — ils sont tous deux d’adorables chevaliers.
Elle fait évoluer ses danseurs d’une scène à l’autre avant de les figer, comme des statues. Elle fait entrer dans la posture. Ici, chaque détail compte : nous sommes au XIe siècle, il n’y a pas de perspective. On pointe un doigt, on pose une main sur une oreille pour devenir un espion.
Bien évidemment, Gaëlle Bourges en profite pour tacler l’époque et sa misogynie : sur 626 personnages, seulement trois sont des femmes, et elles sont présentées de façon souffrante. C’est aussi drôle qu’intelligent.
Sans transition, nous entrons dans le travail très différent de Mickaël Phelippeau, qui se passionne depuis le premier jour pour les figures amateures. Mais après Pour Ethan et Pour Anastasia, il s’est intéressé à des danseurs professionnels burkinabés, Ben Salaah Cissé et Luc Sanou, dans Ben & Luc ; Lou nous montrait la physicalité de la danse baroque.
Comme toujours, Phelippeau dresse avec des petites choses un portrait sensible, fin et diablement intelligent. C’est le cas avec Jean-Romuald. Le garçon a 19 ans et semble très mal à l’aise, clairement gauche. Comment le faire bouger ? En l’accompagnant de musique, une de lui, et pas mal composées par d’autres.
Le corps est raide, comme après une salve de coups, rien ne se tend vraiment, il est comme cassé. Cette étape de travail nous fait rencontrer ce nouveau personnage de la galaxie jaune. À suivre.
Parfois, on oublie que danser, danser à fond, ça peut aussi être une proposition. Nous voyons apparaître le danseur ivoirien Mark-Wilfried Kouadio, alias Willy Kazzama, sapé comme jamais. Chemise rose et pantalon recouvert d’icônes de la culture africaine et afrodescendante.
À un rythme endiablé, il fait surgir toutes les danses noires, des plus anciennes au funk. Cet extrait de création est l’occasion d’admirer la puissance de ce danseur merveilleux, qui déroule les hanches jusqu’à marcher agenouillé le long du plateau, avant de repartir de plus belle.
Un vrai shoot de mouvement pur.
Last but not least, nous découvrons la bombe en préparation de Filipe Lourenço, dont nous vous parlions en juin dernier à l’occasion de son sublime Cheb. Une nouvelle fois, il questionne la contemporanéité des danses traditionnelles. Ici, l’Ahidous, une danse traditionnelle du Moyen Atlas.
Ema Bertaud, Alice Lada, Kerem Gelebek, Youness Aboulakoul, Mithkal Alzghair tracent une géométrie où la répétition devient transe, et la tradition, matière à invention. Il y a des lignes qui deviennent des cercles, des unissons qui se séparent en duos en perpétuelle évolution.
Il y a, au début, une raideur impeccable du dos qui sait, avec tact, s’assouplir dans des presque rondeurs, en tout cas, dans des boucles de transmission. Les costumes, tout en impressions de fleurs, donnent l’image d’un bouquet en explosion.
Cela demande une écoute totale entre les interprètes. L’écriture nous laisse bouche bée devant tant de dextérité. Nous apprenons qu’il ne s’agit que d’une étape de travail, d’une création à venir en 2026, et si ça continue comme ça, on vous annonce un chef-d’œuvre !
Jusqu’au 18 juillet à 10h. Durée 2 heures. Chaque proposition dure entre 20 et 30 minutes.
À la Parenthèse.
Visuel :© Théâtre Louis Aragon