Présentée à la Biennale de la danse de Lyon et disponible en replay sur Arte jusqu’au 30 octobre, avant d’arriver à Paris ce printemps, la dernière pièce de Marco da Silva Ferreira est une leçon de danse répétitive qui s’amuse à faire exploser les cadres.
Tout commence par une démarche assurée, masculine, les épaules fières, dans ce qui peut ressembler à un terrain vague, assis dans le brouillard, avec des lumières qui évoquent celles d’un stade de football. Lui n’a pas peur. Il avance en cadence, bras et jambes en harmonie, bras droit et jambe gauche en mouvement, les hanches qui ondulent, elles aussi,, de gauche à droite, dans un mouvement qui pourrait presque être qualifié de féminin. Ce mouvement modifie la marche : elle devient un peu plus légère, presque sur place, et bientôt, elle est rejointe par d’autres. On découvre que les interprètes portent un petit haut en côte de maille très queer et que tous et toutes sont vêtu·es d’un pantalon en vinyle souple.
Les garçons et les filles sont fièr·es. Le public est trifrontal et très proche ; chaque mouvement semble marqué par la musique, qui est pour l’instant électronique, comme pour marquer le rythme sur lequel les épaules doivent taper.
Le mouvement reste répétitif, le groupe devient de plus en plus nombreux, se place en ligne face à une partie du public, puis se retourne pour faire face à une autre section. On a la sensation que le groupe se multiplie et devient de plus en plus puissant.
La danse, dans la première partie de la pièce, est absolument répétitive, perturbée uniquement par des changements de direction, l’arrivée de nouveaux danseurs et danseuses, ou des décalages dans la formation. La ligne peut, par exemple, former un carré avant de redevenir une ligne. Le pas reste souvent sur place, tandis que les bras et les épaules sont tendus au maximum, crispés à l’intérieur. Marco Da Silva Ferreira continue de faire entrer ses interprètes au fur et à mesure du spectacle, donnant l’impression que le groupe pourrait finir par être des centaines. Il y a bien sûr une diversité des corps et des genres, mais cela n’est pas nouveau chez lui, amoureux du rythme.
Cela est peut-être la marque de fabrique de ce chorégraphe. La dernière pièce que nous avons vue de lui, CARCASS, a des points communs avec celle-ci. Il arrive toujours à allier le pointu et le mainstream sans perdre en exigence, ce qui n’est pas si fréquent. L’écriture est facile à lire ; il n’est pas nécessaire d’être féru de danse pour comprendre. Le mouvement est hybride. Il convoque autant les codes des catwalks que ceux des danses répétitives contemporaines.
Oui, la pièce reste une danse répétitive, mais le geste évolue vers d’autres mouvements : des ondulations du buste, des bras qui se libèrent, dans un style qui emprunte autant au combat qu’à la culture ballroom. C’est extrêmement entêtant et addictif. On a envie de les rejoindre, de faire comme eux et elles. Les pieds continuent de répéter le même petit pas, qui avance peu, glisse à peine. On observe un pied pointé vers l’avant qui glisse vers l’arrière pendant que l’autre reste à plat.
F * cking Future ne fonctionne que sur une adéquation totale entre les interprètes, au millimètre près. Il faut être ensemble, extrêmement ensemble, sinon le mouvement peut échouer. D’ailleurs, ce presque moonwalk glisse parfois vers l’arrière pour rappeler que tout n’est pas figé.
Au fil du spectacle, les interprètes semblent flotter un peu, le sol brillant et les pantalons reflétant la lumière leur donnant des allures de patineurs, sur glace ou à roulettes. Les pieds restent constants, tandis que le buste et les jambes deviennent le moteur de la danse. Marco Da Silva Ferreira nous emmène dans ce qu’il sait faire de mieux : faire bouger un groupe d’interprètes à fond. Les pas du début sont dépassés, les mouvements s’accélèrent, et les interprètes prennent des allures de mannequins à fond sur un podium de fashion week. Les épaules vont en arrière, les têtes roulent, le rythme s’accélère puis ralentit, avec une précision impressionnante.
La puissance et l’aplomb des interprètes se ressentent, et on perçoit leur pur plaisir à danser. La pièce est ponctuée d’accélérations et de décélérations parfaitement maîtrisées. Elle interroge la possibilité de sortir d’un cadre défini, d’une normalisation de la répétition. Cela se fait subtilement, et l’on réalise que la pièce devient politique : faire sortir un groupe entier d’un carcan, c’est une forme de révolution, qui peut déranger certains et certaines.
Cette envie de sortir du cadre devient de plus en plus perceptible, presque insistante, et fait du bien. Elle invite à explorer, à retrouver une sensibilité, une douceur de mouvement, une élévation peut-être perdue dans une colère feutrée.
Il est temps alors de se retrouver ensemble, et peut-être même de s’autoriser à se toucher.
English summary:
The performance begins with a confident, masculine walk, gradually joined by others, creating a hypnotic, repetitive choreography. The dancers, dressed in queer-inspired attire, move with precise synchronization, blending elements of contemporary repetition, catwalks, and ballroom culture. The piece evolves through subtle shifts, undulations, and collective momentum, creating a powerful, addictive spectacle. Beyond its visual appeal, the work explores themes of liberation and breaking constraints, inviting the audience to feel a shared sense of freedom, sensitivity, and connection.
À voir sur Arte jusqu’au 30 octobre
Puis, à Paris, du 27 au
Visuel : © José Caldeira