Vous l’avez sans doute compris en lisant nos articles sur le festival d’Avignon que celui-ci est pluriel. Il y a le Festival d’Avignon surnommé le « in » et son off. Et dans son off, il y a des centaines de types de salles, dont de très professionnelles. C’est le cas de la Belle Scène Saint-Denis, qui elle-même accueille en son lieu, la Parenthèse, le programme de Danse Dense, la plateforme de repérage, de visibilité et d’accompagnement des chorégraphes émergent·e·s. L’occasion pour nous de revoir deux de nos plus grands coups de cœur de la saison en version extérieur : Where the fuck am I ? de Zoé Lakhnati et Per-Anders Kraudy Solli et Mother Tongue de Lucía García Pullés
Sur scène, Per-Anders Kraudy Solli et Zoé Élijah Lakhnati nous attentent assis·e·s sur une enceinte. La pièce commence quand le premier tend le fil du micro à la seconde. Elle le déroule jusqu’à l’autre bout, non pas de la scène, mais d’un tapis couleur purple rain. Where the fuck am I ? explore une forme chorégraphique où le lip-sync devient matière à danse. La pièce s’inscrit dans une veine pop, convoquant Britney Spears, Michael Jackson, Prince ou Sinatra, dans un défilé frénétique d’icônes culturelles.
Lui à la voix et elle au corps (et au visage !) se livrent à un zapping corporel proche d’un scroll visuel. L’écriture, à la fois drôle et précise, rappelle les expérimentations de Vincent Thomasset ou Solène Wachter. En trois mouvements, la pièce passe d’une lecture littérale des bruitages à une abstraction plus déroutante, où les gestes se détachent de leur fonction narrative.
Le duo parvient à créer une forme hybride entre performance, danse et archive pop, reflet d’une époque post-Covid qui érige des influenceuses botoxées en idoles. Loin du simple hommage, la pièce devient un portrait croisé d’une génération marquée par la culture numérique et le besoin de se réapproprier ses références.
Where the fuck am I? est hyper bien écrit ; il montre le talent de showman de Per-Anders Kraudy Solli et rappelle à quel point Zoé sait danser, des yeux aux orteils. Sur le fond, elle a prouvé depuis qu’elle savait très bien tisser des liens entre le pop et l’intellectuel avec sa dernière pièce, This is la mort, actuellement en tournée.
Lucía García Pullés apparait assise presque en tailleur. Haut rouge et short en latex. Elle nous tire la langue, elle se tire la langue, l’enroule, la tord, la replie. Les plis de sa bouche deviennent une zone étrangère à conquérir. Elle fait de son corps une langue vivante, malléable, transgressive.
Sa danse animale, saccadée et incarnée, progresse de façon d’abord lente et organique, la langue s’étend : elle ne se contente plus d’être organe, elle devient mouvement, matière, territoire. Lucía danse comme si son corps entier était devenu langue, étiré, contracté, traversé de secousses et de modulations.
Sur les textures électro d’Aria Seashell Delacelle, elle performe avec précision et intensité, désormais, rapidité. chaque geste incarnant une tension entre maîtrise et abandon. Sa physicalité se transforme en outil d’expressivité brute, parfois grotesque. La saturation des gestes, leur répétition, leur bizarrerie assumée construisent un délicieux trop-plein fait d’exil, d’accent et surtout de rapports de pouvoir linguistiques. D’ailleurs, la seule fois où elle prend la parole, c’est pour imiter des sons français avec une autodérision clownesque.
Mother Tongue est un rituel de métamorphose qui avale la langue pour en enlever les stigmates politiques.
Du 12 au 14 juillet à 18 heures à la Parenthèse
Visuel : © Théâtre Louis Aragon-