La dernière création d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou a pour titre Bal clandestin, bien qu’elle ait été présentée, au vu et au su de tous, dans la grande salle de l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône remplie d’un public de tout âge.
Les co-chorégraphes passent ou reviennent aux origines de la danse, autrement dit du ballet au bal, de l’art savant à la pratique populaire, ce, avec les moyens les plus modernes en matière de déco, de costumes, de lumière et de son. Aux rythmes de la techno produite live par les deux DJ émérites convoqués, Haythem Achour (Ogra) et Mehdi Ahmadi (Cali Kula). Avec une scénographie on ne peut plus épurée, réduite au dispositif lumineux mis en place par Xavier Lazarini. Et une collection automne-hiver de costumes de scène (de)signés par Aïcha M’Barek. Avant de faire cause commune ou, si l’on veut, corps de ballet, les interprètes font leur entrée sur un plateau à même le sol un par un, de façon canonique plutôt que cumulative ou répétitive, chacun ayant sa façon d’être, de penser et danser.
Un des deux costauds du casting, Aristide Desfrères, engage les ébats, tout en douceur, le torse dénudé pour partie tatoué. Il marche, arpente le plus tranquillement du monde le quadrilatère couvert de PVC avant d’enchaîner roulades tout en souplesse, chutes savamment amorties suivies de promptes remises d’aplomb. Le rejoignent, en un premier temps encapuchonnés, anonymes, de noir vêtus, ses collègues Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet, Sakiko Oishi, Fabio Dolce, Bastien Roux et Hafiz Dhaou himself, qui fait un caméo. On lève haut la gambette, on exécute des pas de danse, on maintient l’équilibre sur une jambe, on esquisse un grand écart, on sautille, on forme un pas de quatre, de cinq, de six.
Aux meneurs de bal et maîtres à danser d’autrefois, succèdent, dirait-on, les influenceurs. Non seulement ceux de la toile, qui suppléent parfois les chorégraphes, mais des comparses qui font partie de la troupe et même du public. Certains sont repérables, placés au fond de la scène sur les trois degrés d’une estrade ; d’autres le deviennent spontanément, répondant illico presto aux injonctions de Fabio Dolce, danseur versé dans le voguing, amateur de cha-cha-cha, animateur ou maître de cérémonie à ses heures. Après avoir vu la dernière pièce de Sylvain Groud à Roubaix, on n’est pas surpris de la tournure que prennent les choses. Le bal clandestin se dévoile et commence.
L’audience bi-frontale, affranchie par les chorégraphes en deux stages de quatre heures, rallie les danseurs professionnels au centre des événements. Tandis que les DJ sont exhortés, côté jardin, par Aïcha M’Barek qui donne de la voix et du geste, les danseurs font des démos, qui de break (cf. celles du virtuose Aristide Desfrères), qui de gymnastique pure (cf. l’équilibre sur les mains de plus d’une minute effectué par Bastien Roux), qui à la manière d’une reine de music-hall genre Joséphine Baker (cf. la descente de marches de Johanna Mandonnet), qui avec un gracieux solo contemporain contrastant avec la danse à l’unisson (Sakiko Oishi). Après une séquence de slow à laquelle participent des couples du premier rang, la techno se déchaîne comme jamais. Il nous faut enfin souligner la performance de soliste et d’infatigable boute-en-train de Stéphanie Pignon.
Visuel : Bal clandestin : Bastien Roux et Aristide Desfrères, photo NV.