Chaque année le chapiteau de la Villette accueille le spectacle de la promotion sortante du CNAC et, comme chaque année, les applaudissements pleuvent, les félicitations fusent et c’est émerveillé que le public ressort.
Le CNAC – Centre National des Arts du Cirque – se situe à Châlons-en-Champagne et propose une formation dans le domaine des arts du cirque contemporain. Cette école est un lieu de transmission et d’émulation artistique et culturelle et se distingue par sa modernité et son énergie.
Dès le moment où le public s’installe, l’ambiance est posée : il fait sombre, la fumée emplit l’espace et la voix qui nous demande d’éteindre nos « machines » est robotique, sans aucune nuance vocale. L’atmosphère est lourde et semble annoncer une fin du monde proche, tout est noir et des voix préenregistrées annoncent une proche descente aux enfers.
L’introduction au spectacle est un peu longue, mais crée ses effets : le public perd tout repère de gravité, de temporalité et se retrouve en alerte dans ce noir complet dans lequel des lampes de poches rouges clignotent, renforçant le climat d’urgence et de confusion. Par la suite, la lumière est blanchâtre et souligne l’épuration du plateau au fond duquel trône d’immenses enceintes, seul décor en dehors des outils de cirque. Enfin, c’est l’utilisation du son, créé par Pangar, qui fait tomber notre dernière accroche à la réalité extérieure : la musique polyrythmique électronique et expérimentale emplit l’espace de ses sonorités puissantes et martèle l’intérieur du chapiteau et l’intérieur de chaque individualité. Rapidement, le mouvement naît et ne cessera pas : si parfois le contraste entre la densité de la musique et la lenteur des corps est notable, c’est l’énergie de ces six corps qui transparaît dans tous les mouvements, les courses et les vitesses que provoque le groupe. Par ailleurs, les tenues composées de noir et de blanc sous-tendent elles-aussi l’absence de couleur et l’épuration totale au plateau.
Ce micro-climat installé par la micro-société avance vers sa fin qui ne cesse de s’accentuer, tant d’un point de vue du son, que de la lumière ou encore des corps, allant au plus profond des extrêmes, dans une temporalité étirée, jusqu’à la fin du spectacle, où tout explose avant de retomber dans le noir et dans un silence total avant qu’une explosion d’applaudissements déferle.
Le spectacle d’une heure trente amène au fur et à mesure les spectateur.ices dans un environnement circassien hors norme.
La gravité, la peur, le risque, toutes les données reliées au monde extérieur sont perdues. Ce voyage dans le monde du cirque créé par Martin Palisse, David Gauchard et leur équipe propose une présentation hypnotique des talents et des savoir-faire de la troupe. Les gestes sont répétés, et s’enchainent de manière hypnotique et robotique. Le quatrième mur est définitivement présent et l’on a l’impression d’assister à une micro-société enfermée dans une bulle qui monte en tension. Entre acrobaties au sol, mât chinois, équilibres, agrès ou encore roue Cyr, les corps se meuvent et s’épousent dans cette lumière synthétique qui donne à voir les corps tels quels, sans artifices aucun.
Si le groupe fait rarement troupe, un duo ressort particulièrement dans une danse qui traverse le plateau entre, autour et sur les deux mâts chinois. Leurs corps ne font qu’un pour parfois se séparer, se faire monter, sauter et se repousser dans une attitude charismatique arrogante et hypnotisante.
Il n’y a pas de doutes que l’univers et le ton de cette promotion tranchent : il n’y a pas de couleur, pas de partage d’émotions avec le public, mais bel et bien les performances pure et dure de ces artistes circassien.nes. Ce spectacle contemporain est à l’image d’une jeunesse énergique, occupée de feux intérieurs, d’angoisses et d’une danse des corps.
Comme chaque année, le spectacle du CNAC souligne la force et le professionnel dont font preuve ces jeunes artistes qui rafraîchissent le plateau et les esprits.
Si cette année le titre du spectacle est Brûler d’envies, celui-ci retranscrit bien l’état dont on sort de chaque spectacle du CNAC, attendant avec impatience de retrouver la promotion suivante et l’univers qu’elle offrira.
visuel : ©Camille Zingraff