Ce Vendredi 20 septembre, le Festival Musica a ouvert avec une soirée qui faisait à la fois « un état de la musique » et à travers elle du monde. Au Maillon, cette ouverture aux couleurs des Pays-Bas s’articulait autour de l’œuvre marquante De Staat, de Louis Andriessen (1976), tandis que la seconde partie de soirée croisait la création française d’une pièce d’Oscar Bettison et le premier des 4 DJ sets importés de La Haye avec le festival Rewire. Une ouverture cohérente, engagée et où, tels Néo lui-même dans Matrix, nous avons affronté la fameuse caverne de Platon.
Alors que Musica ouvrait ce week-end pour s’installer dans la ville, à Metz et dans les environs jusqu’au 6 octobre et que ce week-end est marqué par les journées du patrimoine, le grand soleil qui baignait la Place Kléber illuminait pas moins de trois festivals : les incontournables Bibliothèque idéales où toutes les têtes d’affiche de la rentrée littéraire se succèdent jusqu’au 25 septembre et puis, plus bucolique, le 3e festival Ceinture verte qui propose des balades jusqu’au 27 septembre. Bref, c’est dans une ville en effervescence qu’ont sonné les trois coups de Musica.
La manière dont l’obscurité était sculptée a frappé le public qui entrait dans le boîte noire du Maillon pour une ouverture qui s’étendait de 20 h à 2h du matin. La plupart des festivaliers ont été accaparés et surpris par la première heure parfaitement performative, qui avait lieu autour des deux espaces de concert, dans la cafétéria et dans ce qui est en fait un patio. Nous devons d’ailleurs être de piètres philosophes-rois parce qu’il nous a fallu nous apercevoir qu’on pouvait fumer dans ce patio pour comprendre que, malgré l’obscurité, nous étions à ciel ouvert. Il faut dire qu’on nous avait échangé notre billet pour le concert contre un bracelet en fil barbelé et que la plupart des spectateurs se sont assis avec une bière pour se laisser surprendre par les performances des 13 artistes contemporains qui proposaient une pièce en référence à De Staat. Parmi ces propositions – toutes politiques et toutes musicales – certaines faisaient directement référence à De Staat : par exemple, Jeanne Kosmos proposait un crossover du compositeur néerlandais très critique de la société du spectacle et de grandes figures de la pop, et François Sarhan (dont Musica fait le portrait et dont vous verrez ce week-end une œuvre engagée Les murs meurent aussi) avait découpé les deux dernières pages de la partition de De Staat. Mais certaines propositions étaient plus éloignée de Andriessen pour se concentrer sur un activisme seventies : Valérian Guillaume nous proposait de voter (sans programme) pour alimenter une performance poétique, le dissident russe Dmitri Kourlianski exilé à Paris depuis 2022 proposait de rayer Moscou de la carte du monde et Ted Hearne nous surprenait avec 5 musiciens déconstruisant des jingles publicitaires et interprétant des tubes « Zombie zombie ».
Alors que les musiciens en piste pour les installations de la première heure nous ouvraient le chemin vers la grande salle, deux performances ont fait transition : la pièce L’État de Nature de Cathy van Eyck, composé en 2024, filait la métaphore des fondements de notre organisation politique, tandis que le poème filmé de Moor Mother Avant l’ère commune appelait à la Justice. La justice, c’est justement la question que se posent les sophistes Thrasymaque, Céphalus et plusieurs autres Sophistes face à Socrate, dans la fameuse République de Platon. République qui se dit en Grec « Politeia » et que Andriessen traduit par notre concept morne d’État de Staat. Ce qui tient, ce qui dure. Et que les artistes et parmi eux les musiciens mettent en danger, selon Platon. Et Andriessen faisait déclamer des extraits de la République et de la méfiance que le dialogue exprime sur les artistes lors de la création de la pièce. A Strasbourg, 28 ans après, pour le temps du concert, et après la transition du poème de Moor Mother, tout s’arrête et la musique est au centre, avec un public assis, un quatrième mur et une interprétation « bourgeoise ». Et c’est superbe ! Dirigés par Clark Rundell, l’Asko Schönberg et l’Ensemble Klang sont encadrés par deux piano et soutenus par un petit chœur de 4 sopranos. Ils nous laissent entendre la musique d’Andriessen qui est à la fois chaleureuse, colorée et qui, en même temps, tombe d’un bloc sur nous. Les cuivres enivrent, il y a des références pop et l’on pourrait parfois être dans une musique de film de Brian de Palma. Elle est bien loin d’être froide cette caverne de l’État où le feu de la musique fait vibrer des harmonies et des formes envoûtantes…
Lorsque l’on sort pour l’entracte, les sets de Rewire n’ont pas encore commencé. Le silence qui nous accueille dans les espaces communs est presque déstabilisant. On boit, on mange, et l’on remonte dans la grande salle pour finalement nous confronter à la caverne telle que nous l’avions anticipée. L’américain Oscar Bettison venu étudier la musique aux Pays-Bas avec Louis Andriessen, répond à la pièce de son maître par On the slow weather of dreams (dont c’était hier soir la création française) : commençant par le souffle des chanteuses, proposant un texte en italien et en anglais parfaitement symbolistes où abécédaires, herbiers et phrases sur la nuit se répondent, l’œuvre reprend la conformation de De Staat et nous propose réellement un voyage de 45 minutes au royaume des ombres.
Nous arrivons dans le cube noir mais ouvert où les artistes à l’affiche de cette première soirée Rewire à Strasbourg œuvrent en retard : il fallait choisir entre le disciple d’Andriessen ou le duo queer électro No Plexus. Nous entrons donc directement dans l’univers mélancolique et fascinant du DJ Aho Ssan Auquel répond le designer Sevi Iko Dømochevsky. Le son est minimal et précis nous enveloppe et nous plonge dans les couleurs caravagiennes d’un vjing hypnotisant : nous voici passé de la République de Platon aux Rhizomes de Deleuze et Guattari ! Une longue pause est marquée et nous avons encore le temps de suivre les rythmes plus sombres et tribaux de Ziúr, accompagné par la voix de Elvin Brandhi et les images sombres (et parfois embarquées dans le corps) de Sander Houtkruijer. Nous partons avant le dernier set de Kode 9, avec assez de musique et d’image pour nous imaginer comment atteindre le ciel des idées…
Musica ne fait que commencer et le festival Rewire propose un deuxième concert ce soir tandis que le concert de ce samedi 21 septembre porte le joli titre de Persévérance. Pour en savoir plus sur le festival et sa programmation, lisez notre interview de son directeur Stéphane Roth…
Visuels (c) YH