Taylor Swift réinvente le mythe de la showgirl
par Rafaela Velasco07.10.2025
The Life of a Showgirl, à peine sorti vendredi, est devenu l’album le plus écouté en une journée en 2025 sur Spotify et Apple Music. Annoncé depuis août dernier, le 12e opus de l’artiste était très anticipé par toute la communauté, avec près de 5 millions de précommandes.
The Life of a Showgirl
En l’espace de quelques années, Taylor Swift a produit et sorti l’équivalent d’une carrière entière de musique. Cet album, Taylor Swift l’a écrit en plein cœur de sa tournée monumentale, les Eras Tour, qu’elle décrit comme «le moment le plus contagieux, joyeux, excitant et dramatique de ma vie». Une nouvelle era qui a suscité l’impatience de la part de ses fans, auxquels elle a amplement répondu lors de la promotion particulièrement léchée de l’album. Sequins, paillettes, titres évocateurs faisant référence à Elizabeth Taylor, visuels plus osés et assumés de la showgirl que Taylor est indéniablement devenue. L’inspiration de l’album fait des références nettes à l’esthétique cabaret, inspirée du musical Moulin Rouge ou encore de Christina Aguilera dans Burlesque. De quoi ravir ceux qui reprochaient à ses derniers succès d’être des ballades larmoyantes au lyrisme poétique, moins mainstream qu’à son habitude.
Voir cette publication sur Instagram
Pop is not dead
Roulements de tambours dès les premières notes de The Fate of Ophelia, Taylor nous transporte en 2014 et renoue avec la pop entêtante dont elle avait fait sa marque de fabrique avec le révolutionnaire 1989 (titres iconiques comme Shake it Off, Welcome to New York…). Et le rapprochement est notamment le résultat de sa collaboration avec les producteurs Max Martin et Shellback, avec qui elle avait signé 1989. Synthé, refrains obsédants et rythmes qui donnent envie de danser dans sa chambre comme une ado de quatorze ans : de quoi rappeler aux swifties ses titres de la première heure. ne chose est sûre, c’est que la pop n’est définitivement pas morte. Un retour nostalgique à un style qu’elle avait délaissé depuis quelque temps, qu’elle retrouve par exemple avec Opalite, un titre rempli d’optimisme et de confiance. Elle y capture la résilience tranquille et l’enthousiasme d’avoir enfin trouvé la bonne personne pour elle après une série d’épreuves.
La rétrospective nostalgique d’une vie sur scène
Musicalement sympathique, l’album semble toutefois manquer de l’essence de l’artiste. D’abord, un certain paradoxe entre la promotion de l’album, qui promettait un univers qu’il n’est pas évident de retrouver, que ce soit dans la production ou dans les paroles. Dans The Life of a Showgirl, c’est plus l’expérience personnelle que le côté showgirl qui est mis en avant. Contre toute attente, c’est davantage un autoportrait de 41 minutes, aux airs de rétrospective nostalgique sur une vie sur scène, que l’on découvre. À 35 ans, la chanteuse, qui est sous les projecteurs depuis ses 14 ans, raconte cette vie désormais indissociable de la sienne, ses dessous et ses failles. Elle la célèbre mais règle aussi ses comptes avec une industrie qui l’a façonnée presque autant qu’elle l’a tourmentée.
« Nous vivons dans une société où les femmes du spectacle sont écartées dès l’âge de 35 ans. »
Les titres les plus intéressants de l’album vont dans ce sens. Dans le titre éponyme The Life of a Showgirl, qu’elle partage avec sa protégée Sabrina Carpenter, Taylor développe le mythe autour de la vie de showgirl et son revers de médaille : «You don’t know the life of a showgirl, babe / And you’re never gonna wanna», chante-t-elle, en rappelant les dynamiques qui sous-tendent cette industrie pour les femmes. Le personnage de la showgirl s’inscrit dans l’exploration récurrente de Taylor sur le coût du spectacle : comment les femmes du spectacle sont à la fois adorées et incomprises. La constante remise en question de leur travail, de leur talent et de leur légitimité, notamment passé un âge («They gave her the keys to this city / Then they said she didn’t do it legitly»). L’industrie qu’elle dénonce est en constante recherche de nouvelles jeunes starlettes en vogue. En 2019, Taylor déclarait en interview à ce propos : « Nous vivons dans une société où les femmes du spectacle sont écartées dès l’âge de 35 ans. »
«Father figure» de l’industrie musicale
Cette industrie musicale, elle en est à la fois prisonnière, comme elle le raconte dans The Fate of Ophélia «J’étais seule du haut de ma tour» , mais elle en est aussi l’un des mastodontes. C’est un thème qu’elle s’approprie malicieusement dans Father Figure, une satire dans laquelle elle se présente comme la figure paternelle de son empire, en revendiquant son succès à elle seule. Elle y affirme que son règne sur l’industrie musicale est le fruit de son propre travail, dépassant celui des hommes qui ont tenté de lui mettre des bâtons dans les roues. Avec des paroles plus vindicatives qu’à son habitude («I can make deals with the devil because my dick’s bigger»), elle nous livre une franchise habilement construite qui sert une revendication de pouvoir assumée, sans excuse ni compromis, encore rare pour une artiste féminine, ce qui fait la force du titre.
De poète à pop star
Cependant, même si quelques titres sont voués à devenir des classiques du genre «glitter pen song» (chansons insouciantes, pleines d’entrain, parfaitement syncopées sur le rythme) dont Taylor détient le secret, d’autres sont largement oubliables et font regretter les mélodies indie et folk ainsi que les ballades prosaïques qu’elle avait pu fournir dans Folklore, Evermore (2020), ou encore dans The Tortured Potes Department (2024). Plus encore, c’est sa plume poétique et pointue qu’on a parfois du mal à retrouver. Elle le dit haut et fort : elle n’est plus la poète torturée de son dernier opus, mais bien une showgirl qui enchaîne les chansons d’amour sur son fiancé Travis Kelce, tout en écrivant sur les effets de la «fame». L’effet est là : il est plus difficile de s’identifier et de s’approprier des chansons très éloignées d’une réalité seulement palpable par une pop star billionaire. Agile et percutante, elle le demeure, mais on regrette des paroles parfois vides de sens, du moins pour son auditoire, et ce encore plus au vu du contexte politique et social actuel.
© Pochette officielle de l’album / Instagram @taylorswift
« Industry plant » de Miki : un pied de nez pop électro aux haters, qui exorcise les terreurs enfantines et féminines
par Luna Beaudouin-Goujon07.10.2025
Natalie Bergman emplit de bonheur La Maroquinerie le 30 septembre (+ interview)
par Yves Braka04.10.2025
