En concert dans le cadre du festival Pitchfork, la Canadienne rassemble encore une fois la musique américaine au-delà des genres et des communautés.
C’est une chance d’être là, d’écouter avec quelle gracieuse simplicité, Charlotte Day-Wilson déploie un R&B presque original, à peine habillé de ses figures actuelles qu’il faut aller chercher ailleurs, par exemple dans ses featurings avec Kaytranada. C’est d’abord une voix de la musique populaire américaine qui cherche son équilibre sur les orchestrations parfois rigides de ce R&B des origines. Chaque mot nourrit un sous-texte de la mélancolie de l’amour et de la séparation que l’on reconnaît d’emblée, sans même réfléchir. La musique de Wilson est chaque fois toute en affects et en prières, en humanité. Planent ainsi en permanence les accents élégiaques d’une Beth Gibbons ou d’une Tracey Thorn, la verbalisation des sentiments qui vise à enchanter plutôt qu’à souffrir encore. On pense aussi à Lana Del Rey, sans doute très fan. Et on mesure tout l’écart qui nous sépare ici de l’équation réalisée par une Taylor Swift qui, pour le coup, se révèle incapable d’atteindre ces gestes de vérité.
Revoici ici – revue et corrigée- les fantômes du Nick Cave qui réveillent la sensation de bonheur de l’élan gospel ; la ferveur intimiste d’un Neil Young (« Old man » qu’elle reprend) dont on imagine avec jubilation un duo. L’apparente contradiction avec la grammaire du R&B d’aujourd’hui est ici stoppée net par un mélange mystérieux d’influences à la fois historique (le blues, la folk-music) et mélodique (lorsque la soul noire et le rock blanc commencent à danser ensemble). C’est sans doute la principale qualité de Wilson de parvenir à cet équilibre fait de découverte et de précision, tout cela sans en faire un plat, sans jamais chercher la performance à la mode (Diana Krall ?). Peut-être dit-elle aussi qu’une musique inactuelle n’est pas simplement « populaire », parce qu’elle est écoutée, mais parce qu’elle nourrit, et remplace quelque chose d’essentiel, l’objet perdu de nos croyances, en Dieu, en la famille, en la société. Et fait place à la langueur de se savoir exister ensemble, dans ses chansons, ce groove faussement statique, en fait totalement planant, totalement chorégraphique (au hasard,« Dovetail »).
C’est enfin un sentiment de liberté que distille la musique de Wilson, le fait que l’invention est d’abord une réinvention, cœur battant, capable de pacifier ses disputes avec la tradition, avec le « déjà-là ». Il n’y a ici aucun compte à rendre, jamais de courbettes, mais l’invitation à commencer, à prendre le chant comme il vient, celui qui berce les enfants et les amants. En cela, sa présence au festival Pitchfork dit quelque chose de ses intentions : son souci de capter un fluide plus subtil que celui d’une musique simplement traditionnelle à laquelle on se contenterait de rendre hommage. Bref, si vous ne connaissez pas Charlotte Day-Wilson, ou seulement sa chanson culte « Work », vous pouvez plonger sans risque. Tout y est doux, pur et vulnérable. Précieux.
Le Pitchfork Music Festival Paris se déroule jusqu’au 10 novembre 2024
Dernier album de Charlotte Day-Wilson : « Cyan Blue »
Crédit photo :© Elina Tran