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07.02.2024 → 08.02.2024

Quand l’image inspire la musique : le beau concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Salonen pour Bach, Elgar et Hindemith

par Helene Adam
08.02.2024

L’orchestre de Paris sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, propose pour deux soirées à la Philharmonie, une exploration originale d’œuvres passionnantes d’Elgar et d’Hindemith, où l’image se fait musique sous le haut patronage de la figure tutélaire de Bach.

Un choix original d’œuvres rares

Quel joli programme que celui proposé les 7 et 8 février, avec ces images musicales riches en harmonies que des compositeurs assez rares malgré l’originalité de leur talent, ont « peint » avec des notes, des rythmes, un choix d’instruments et une voix.

L’on commence par les multiples couleurs d’une orchestration flamboyante avec orgue, qui habille la « Fantaisie et Fugue en ut mineur » de Jean-Sébastien Bach. Richard Strauss et Edward Elgar, étaient convenus d’en proposer ensemble, une orchestration. Il est probable que des conceptions un peu différentes ont fini par aboutir au travail d’Elgar seul. Peintre de l’exubérance, il pare en effet Bach d’une profusion d’instruments dont les partitions laissent cependant reconnaître tout au long de l’exécution le talent du contrepoint dont le Cantor de Leipzig est le maître incontesté. En voyant arriver l’orchestre de Paris au grand complet, avec pas moins des huit contrebasses qui sont le signe du « gros » orchestre, des percussions et des cuivres à foison, une harpe et le fameux et superbe orgue de la Philharmonie pour rappeler l’origine de l’œuvre orchestrée, l’on se dit que Bach aurait été sidéré de l’évolution des possibilités instrumentales inconnues à son époque. Impossible de dire s’il aurait apprécié, mais nos oreilles familiarisées avec ces profusions d’instruments particulièrement valorisées par l’acoustique de la salle Pierre Boulez, ont pleinement goûté cet art ainsi magnifié.

 Notons que l’orchestre de Paris est désormais une phalange de référence dans de nombreux répertoires très variés et ajoute à l’occasion de ces deux concerts, cette œuvre à sa riche panoplie. Et nous avons aimé la battue passionnée et précise du chef finlandais très à son affaire lui aussi dans ces pièces souvent méconnues des compositeurs du début du XXème siècle.

Sarah Connoly en majesté

Les « Sea Pictures » composées par Edward Elgar, et contemporaines de ses célèbres « Variations Enigma » sont comme autant de petits tableaux représentant la mer dans tous ses états. Elgar a mis en musique cinq poèmes d’auteurs différents, dont sa femme Caroline, pour un cycle marin qui figure parmi ses œuvres les plus abouties.

La grande soprano suédoise Nina Stemme aurait dû interpréter ces « songs » avec sa voix de wagnérienne et nous aurait sans doute proposé une incarnation assez différente de celle de sa remplaçante, la mezzo-soprano britannique Sarah Connolly. Celle qui fut la plus belle Isolde de ces dernières années, étant souffrante, avait déclaré forfait et, si nous avons eu incontestablement une autre lecture, cette dernière nous a comblés. L’enregistrement de référence reste celui de la contralto britannique Janet Baker.  Sarah Connolly a cette élégance et cette délicatesse toute british qui sied à la langue de ce répertoire. Et si, parfois, la voix est un peu malmenée par les déferlantes toutes wagnériennes de l’orchestre, l’ensemble est très harmonieux et très émouvant, les aigus stables et bien maitrisés et surtout, le médium et le grave souvent sollicités, sont de toute beauté. Son « Sabbath morning at see » où l’on entend l’un des thèmes musicaux des Meistersinger, est superbement sculpté.

La phrase musicale est « dite » avec cet art de la narration qu’elle possède. Elle est par ailleurs familière du répertoire d’Elgar dont elle a chanté notamment le « Rêve de Gerontius » à la Philharmonie de Berlin.

Et le dernier opus, « The Swimmer « (Le nageur) écrit par le poète australien Adam Lindsay Gordon, la voit à son sommet, la voix enfle sur les phrases les plus chargées de romantisme pour atteindre un volume exaltant, tandis que l’artiste nous transmet cette charge émotionnelle que créée son magnifique timbre si harmonieux.

Aperçus trop courts d’Hindemith

Après l’entracte c’est le compositeur allemand Paul Hindemith qui prend la suite du britannique Elgar, avec, en guise de mise en bouche un très dynamique Ragtime de quelques minutes exécuté avec fougue par l’Orchestre de Paris. L’intitulé indique la double influence des musiques contemporaines au rythme de jazz – « Ragtime » – et de Bach dont il emprunte l’art du contrepoint avec la fugue en ut mineur – « Wohltemperierte » – (« bien tempéré »). Et lui aussi rhabille le vieux maestro de manière originale, ludique cette fois, avec force de percussions presque insolentes, ponctuant son art de la fugue.

Le trop court morceau est suivi par une symphonie tirée de son opéra éponyme « Mathis le peintre » et qui évoque Matthias Grünewald, artiste de la Renaissance. Pour rester dans les références picturales qui composent ce concert, cette symphonie a trois mouvements qui se réfèrent chacun à l’un des panneaux de son légendaire Retable d’Issenheim, Concert d’anges (Engelkonzert), Mise au tombeau (Grablegung) et le plus impressionnant musicalement, la Tentation de saint Antoine (Versuchung des heiligen Antonius). Alors que la symphonie a été créée à Berlin en 1934 par le Philharmonique sous la direction de Wilhelm Furtwängler, l’opéra, rarement joué, a été composé en 1935 et immédiatement interdit par le pouvoir nazi comme l’ensemble de la musique de ce compositeur avant-gardiste. Car cette symphonie a plusieurs sources d’inspiration et entremêle avec talent des parties très lyriques des cordes – trouvant là encore l’Orchestre de Paris à son meilleur- brutalement interrompus par l’intervention des cuivres et des percussions, le tout créant un rythme où l’on perçoit l’affrontement entre les anges et les démons avec une précision affolante.

Et l’on regrette un peu que le programme soit si court car, franchement, quel plaisir de réentendre (ou de découvrir) ces rafraichissantes pages si intelligemment choisies et si magnifiquement interprétées.

Philharmonie de Paris, 7 et 8 février

Visuel : ©Getty – Photo by Hiroyuki Ito/Getty Images