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Et le public dansa : miracle à Fourvière avec Clara Ysé, Kiddy Smile et L’Impératrice

par Prune Fargetton
25.06.2024

Le 22 juin, les Nuits de Fourvière proposaient un triple concert à la programmation inattendue : Clara Ysé, autrice-compositrice de chansons sombres et douces qu’électrisent parfois l’énergie de ses musiciens ; Kiddy Smile, DJ et militant pour les droits LGBT+ accompagné de ses danseurs de voguing ; et enfin L’Impératrice, sextuor disco-pop. Un line up éclectique qui s’aligne pourtant dans sa capacité à faire danser même sous la pluie lyonnaise un public d’ordinaire assez calme.

C’est toi Clara la sirène

Son veston est molletonné, sa jupe longue, noire. Il fait encore jour, à cette heure-ci la scène est simplement décorée pour un concert intimiste. Dans « Le désert », on y est vraiment : le tempo est lourd, le refrain accentue des élévations orientales. Clara Ysé chante «Tu seras mon étoile», et on est pris.e.s à plein dans la vague marine de son dernier album, Oceano nox. Entraînant comme un morceau de Clara Luciani ou de Juliette Armanet, le bourdonnement de boucles électro et un interlude de cordes lui donnent aussi une couleur particulière.

Femmes

Sur «Magicienne», le public se tait. L’ode saphique aux simples accords de piano laisse la place à une sorcellerie de notes audacieuses, techniques mais sublimes. Sur une chanson on croit reconnaître Anne Sylvestre, d’ailleurs Ysé partage avec l’artiste des paroles féministes, dans le morceau inédit « Les rois du désespoir » elle fait par exemple référence à l’actualité du cinéma français : « Le doute je l’ai vu dans ton iris / Quand tu as entendu l’actrice / Dire ‘je veux que ce monde périsse’ / Qu’il périsse ». Le titre « Souveraines » donne une voix aux « femmes qui ont côtoyé la haine ».

Et à part, la voix

Mais on reconnaît également une formation au chant lyrique, ou une intonation roulée à la Brel sur « La maison », des notes hispanisantes, une distorsion de guitare western… Si Clara Ysé fait de la «variété», son univers est unique, elle entortille les codes pour créer des spirales sonores enchanteresses avec ses musicien.ne.s. Et pas des moindres. Ingrid Samitier ébranle tout avec des solos sauvages et progressifs… elle fait ployer son vibrato, le public en redemande. Parfois en pop française les musiciens s’effacent derrière la voix, mais auprès de Clara Ysé ils ont toute leur intégrité. Le solo du saxophoniste Peter Corser dure des minutes jubilatoires. Philippe Boudot à la batterie maintient la foule en haleine, le tempo est lascif, puissant. Poésie qu’on danse. 

Kiddy à paillettes

Après une entracte, Kiddy Smile entre en scène pour le show le plus bouillant de Fourvière. Il y a pile quatre ans, pour la Fête de la musique, il jouait à l’Élysée vêtu d’un tee shirt où il était inscrit «Fils d’immigrés, noir et pédé». Ce soir il rayonne aussi, dans une veste à sequins violette, lorsqu’il se place derrière les platines pour une introduction house. Il est ensuite rejoint par ses huit danseurs de voguing – un style de danse qu’il a largement popularisé en France, consistant à imiter les poses des mannequins lors des défilés de mode.

A califourchon sur les enceintes

Les danseur.euse.s sont en combinaison orange fluo, moulantes, les corps sont différents, ce sont bien des corps qui se déchaînent en rythme. On entend le classique «Girls and boys» de Blur, les Daft Punk, mais aussi ses tubes «Let a bitch know» et «Be Honest». Les mouvements effrénés des danseur.euse.s lient les uns aux autres, les temps entre eux, dans un mélange pop et sexy à grosses basses. Dans la foule on chauffe, on essaye d’imiter leurs courbes désarticulées de tout complexe avec une énergie démente, peu importe, on applaudit ou on claque des doigts – pour les adeptes du drag – devant ces corps, qu’ils soient debout, accroupis à rebondir ou à califourchon sur les enceintes.

Climax

Et si l’on se tourne vers les gradins dont on déplorait l’immobilisme quelques jours plus tôt devant le groupe Air, ils dansent. Ils voient des silhouettes orange et des strass mais certainement ils sentent l’énergie qui se répand dans l’amphithéâtre. Avec Kiddy, on atteint le climax de la soirée – lui qui a d’ailleurs eu son rôle dans le film du même nom de Gaspar Noé -, il ne s’agit plus d’un concert mais d’un festival électro ou d’une boîte de nuit. D’ailleurs, la rechute est brutale : une demi-heure d’attente sous la pluie séparent son set du concert de l’Impératrice, très énergique également mais moins excité. Il aurait peut-être été plus judicieux de finir avec lui, en transe.  

Si on était dans une boule à facettes

Et enfin, L’impératrice. Dans le noir, on ne repère que le nom du groupe sur la scène, puis les cinq musiciens et la chanteuse entrent, portant un gros rond lumineux sur leur habit argenté. Flore Benguigui avec son cœur en diode fait «danser les moteurs en elle», robotique, sur «Amour Ex Machina». Très funk, la ruche s’agite en distorsions. Tout y est disco : la scène décorée de sequins, les costumes, les inspirations. Les années 70 sont omniprésentes, mais on reconnaît aussi les vocodeurs des années 90, un ensemble d’expérimentations passées colorent leur morceaux résolument pop. C’est par elle qu’ils accèdent au public contemporain.

Temps présent

D’ailleurs, ils n’oublient pas le temps présent : avant le début de «Danza Marilù», chanson franco-italienne, elle rappelle aux spectateurs l’accession au pouvoir de Giorgia Meloni, et appelle à voter contre l’extrême-droite aux législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet. La messe n’est pas encore dite. Et on en danse. Avec les mains tentaculaires sur «Agitations tropicales», on suit les mouvements de Flore Benguigui, on baigne dans un ciel orange et liquide. Ils interprètent également «Matahari», où l’on n’aurait pas été surpris de voir les danseurs et danseuses de Kiddy Smile rejoindre les musiciens et le public dans un immense corrobori disco. Et Clara aurait également été de la fête.

Confettis de pluie par terre

Même s’il pleut dans le théâtre en plein air, on reste après un solo de guitare à l’impétuosité digne d’AC/DC pour «Love from the other side», seule chanson en anglais de leur dernier album Pulsar. C’est amusant d’ailleurs comme la langue semble guider la ligne musicale, puisque le morceau a des accents brit pop, c’est estival et rythmé, on pense à Metronomy ou Blur. Pétillant et downtempo, ils accompagnent la redescente d’une soirée dansante qu’on voudrait voir plus souvent à Fourvière.

L’impératrice à Fourvière (c) Juliette Valero – Les Nuits de Fourvière