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Maria et Nathalia Milstein à la Salle Cortot : Schubert pour violon et piano tout en fougue, finesse et fraicheur

par Hannah Starman
28.09.2024

Ce 26 septembre, les sœurs Maria et Nathalia Milstein ouvrent la série Nuits du Piano 2024/25 à la Salle Cortot avec une soirée consacré à Franz Schubert. Le duo exceptionnel se réunit pour présenter une partie de son Intégrale de l’œuvre pour violon et piano qui vient de sortir sous le label Mirare. Une belle découverte d’un opus rare et peu enregistré.

Une oeuvre pour violon et piano authentique et personnelle

 

La magnifique Salle Cortot, un chef-d’œuvre Art déco, construit en 1929 entièrement en bois « pour sonner comme un violon » suivant la vision de son architecte Auguste Perret, est presque comble et les grincements accentués des chaises de quelques spectateurs retardataires  témoignent de sa remarquable acoustique. Dans cet écrin intimiste d’une beauté époustouflante Maria Milstein au violon et Nathalia Milstein au piano font faire découvrir au public parisien leur nouveau double CD consacré à Franz Schubert.

 

Le troisième album en date, après La sonate de Vinteuil, un hommage musical à Marcel Proust, et Ravel voyageur (Diapason d’or 2019), l’Intégrale de l’œuvre pour violon et piano, enregistrée sur un Blüthner de 1857, est une ravissante interprétation d’un univers aussi lumineux que tourmenté du compositeur emblématique du romantisme allemand. On apprécie l’approche historiquement informée qui restitue la sonorité d’époque tout en y apportant une fraîcheur délicate et intemporelle.

 

Franz Schubert a composé plus de mille œuvres dans sa courte vie – il est mort à 31 ans de la fièvre typhoïde – dont six seulement pour violon et piano. Entre mars 1816 et août 1817, alors qu’il n’avait que 20 ans, Schubert a écrit quatre sonates pour violon et piano : le triptyque des Sonatines n° 1, 2 et 3 et la Sonate pour violon et piano en la majeur « Grand Duo ». Dix ans plus tard, il a complété cet opus, longtemps négligé par les interprètes à cause de sa « simplicité », avec deux œuvres d’une redoutable exigence technique : Rondeau brillant et Fantaisie pour violon et piano.

 

Le duo fusionnel fait briller un Schubert ardent et subtil

 

Maria et Nathalia Milstein sont issues d’une famille de musiciens russes : leur père Serguei et leur grand-père Iakov Milstein sont des pianistes et professeurs de piano réputés et leur mère Natalia Tolstaia est altiste à l’Opéra de Lyon. L’aînée, Maria, est née à Moscou en 1985 et la cadette, Nathalia, à Lyon en 1995. Les deux sont des solistes accomplies qui se retrouvent régulièrement depuis 2005 pour jouer en duo. Leur complicité nourrit un jeu fluide, équilibré et complémentaire, que ce soit pour recréer l’atmosphère intime d’un salon familial du XIXème siècle dans Sonatines ou pour éblouir avec la bravoure virtuose que demande l’exécution du Rondeau ou de la Fantaisie.

 

Le violon dans la main, Maria Milstein, prend la parole. Sa diction rapide et le rouge qui monte furtivement aux joues séduisent immédiatement le public, qu’elle remercie chaleureusement de sa présence avant d’annoncer un changement de programme. Au lieu de commencer avec la Sonatine n° 2 en la mineur D. 385, le duo ouvre la soirée avec la plus construite et plus personnelle Sonate « Grand Duo ».

 

Maria et Nathalia Milstein interprètent l’allegro moderato initial avec une aisance pétrie de poésie et de charme, avant d’enchaîner un vigoureux scherzo dans lequel les deux instruments se fondent dans une intimité limpide et sans une once de rivalité. L’andantino qui suit est un dialogue inspiré et presque vocal entre les deux instruments. Avec une aisance gracieuse d’un autre temps, les sœurs convoquent les personnages mozartiens et dessinent leurs ombres avec douceur, comme deux fillettes qui habillent avec soin leurs poupées et échangent, en chuchotant, leurs premiers secrets. Maria et Nathalia Milstein concluent le « Grand Duo » avec un rayonnant allegro vivace.

 

Le programme continue avec la Sonatine n° 2, une exquise pièce toute schubertienne en quatre mouvements, dont le magnifique et dramatique second mouvement, le plus beau de tout l’opus 137, et le très lyrique rondo final. Maria et Nathalia Milstein sculptent les sonorités avec précision et finesse, mais surtout avec une spontanéité fraîche qui révèle un Schubert résolument dépoussiéré, tendre, fulgurant et fabuleux.

 

Maria et Nathalia Milstein passent à la vitesse supérieure après l’entracte avec la Fantaisie en do majeur. Schubert compose la Fantaisie, sa dernière œuvre pour violon et piano, en décembre 1827 pour le violoniste bohémien Josef Slavik. Le jeune virtuose mourra, lui aussi, de la fièvre typhoïde, à 27 ans. Chopin dit de lui dans une lettre à son ami Jean Matuszynski :  « À part Paganini, je n’ai jamais rien entendu de comparable, quatre-vingt-seize staccati d’un seul coup d’archet : incroyable ! » Maria Milstein exécute les passages les plus périlleux de la Fantaisie avec brio et accompagne la musique avec des mimiques éloquentes et rudement attachantes.

 

La Fantaisie est une composition d’une durée d’exécution de trente minutes, riche et techniquement difficile, tant pour le violon que pour le piano. Elle est structurée autour des variations sur le thème du Lied « Sei mir gegrüßt » de Schubert. Le pianiste Nikolai Lugansky a décrit la Fantasie de Schubert comme « la musique la plus difficile jamais écrite pour le piano, plus difficile que tous les concertos de Rachmaninov réunis. » On ne le devinerait pas, tant les traits nobles sont composés en une expression de félicité paisible sur le visage de Nathalia Milstein qui, à l’instar de nos élégantes grands-tantes, ne laisse jamais transparaître le moindre effort ou contrariété.

 

Rappelées sur scène avec insistance par des spectateurs enthousiastes, les deux sœurs s’attrapent par la main et nous offrent un charmant bis, l’andantino de la Sonatine en ré majeur de Schubert, un autre morceau de l‘Intégrale de l’œuvre pour violon et piano de Schubert. Ce nouvel album de Maria et Nathalia Milstein est un bijou de beauté, de finesse, de tendresse et de ferveur. À déguster avec gourmandise ou à écouter en boucle, l’Intégrale est un incontournable de la rentrée !

 

Visuel : © Lyodoh Kaneko