A l’occasion des commémorations du centenaire de la naissance du compositeur György Ligeti, ce « concert de l’amphithéâtre » à l’Opéra Bastille, avait invité la contralto Hilary Summers et convié quelques talentueux instrumentistes et deux autres compositeurs contemporains pour une soirée intitulée « Fables » et fort séduisante.
Un hommage au talent multiforme de György Ligeti, n’est jamais superflu, d’autant plus que les pièces orchestrales et vocales du grand compositeurs hongrois proposées ce samedi, ne sont pas parmi les plus connues.
Rajouter deux pièces du compositeur de la même génération, George Crumb, l’une pour les percussionnistes également sollicités dans Ligetti, était également une très bonne idée d’autant qu’il n’est pas si courant de les entendre comme quasi-solistes et ils le méritent bien.
Enfin nous avions droit pour compléter une soirée riche en sonorités nouvelles ou inhabituelles, à la création d’une œuvre du jeune compositeur François Gelin, elle aussi pour percussionnistes et au titre mystérieux de « (…texte manquant) ».
Le premier recueil de Ligeti réunit trois « chants d’après Weroës », intitulés « Táncol a hold » (la lune danse), « Gyümölcs-fürt » (la grappe de fruit) et « Kalmár jött nagy madarakkal » (un marchand est venu avec de grands oiseaux), a été composé en 1946 mais le manuscrit est en partie perdu.
Sándor Weöres dont il sera également question pour la création de Gelin, est l’un des plus grands poètes hongrois et l’on peut voir (non sans émotion) sa statue assise sur un banc à Budapest, là où il écrivit nombre de ses œuvres. Ligeti et Weöres étaient amis.
Victime de la censure stalinienne quand il s’installe à Budapest en 1948 après avoir beaucoup voyagé, le poète ne publiera librement qu’à partir de 1964. Mais sa production fut malgré tout foisonnante et la richesse de ses écrits dont la forme rythmique est particulièrement lyrique et musicale, est particulièrement passionnante dans l’interprétation que nous en propose Hilary Summers. Sa belle et chaude voix de contralto rend parfaitement compte de la riche harmonisation entre paroles et musique et sa prononciation du hongrois, est parfaite. Le premier chant est plutôt joyeux, le second nous plonge dans une étrange atmosphère tandis que le dernier, sautillant et animé, demande des écarts de note considérables. On regrette seulement de ne pas disposer des paroles en français tout en appréciant grandement la musique des mots si dynamiquement chantés par Hillary Summer très bien accompagnée par le piano de Michalis Boliakis.
Nous le retrouvons d’ailleurs en soliste brillant et inventif pour des extraits du « Musica ricercata », ces onze pièces originales de Ligeti (1951). Le premier mouvement noté « Sostenuto — Misurato – Prestissimo » présente l’originalité de n’utiliser pratiquement que le « la » (et le « ré » en dernière note) tout en variant le rythme, les nuances, la sonorité, le timbre et les octaves, dans un bel exercice. Le deuxième mouvement, le « Mesto, rigido e cerimoniale » que Ligeti revendique avoir écrit « comme un coup de poignard dans le cœur de Staline », oscille entre deux notes avec un demi-ton d’écart, mi dièze et fa dièze qui alternent de manière d’abord assez plaintive avant de former une mélodie plus soutenue voire obsédante et oppressante. Quant au dernier mouvement, l’« allegro con spirito », il est beaucoup plus rapide et de facture plus classique.
« Fille, nuage et papillons » est également un recueil de poèmes de jeunesse de Sándor Weöres et c’est sur l’un d’eux, particulièrement court et percutant, que François Gelin s’appuie pour sa création musicale pour quatre percussionnistes. Le poème dit seulement : « RÉSOLUTION DU MYSTÈRE DE L’EXISTENCE/ Le sens de la vie est le suivant : (… texte manquant). »
C’est ce mystérieux « texte manquant » qui donne son titre à la pièce de Gelin qui prend un style « onomatopées » pour exprimer par les xylophones, les sifflets et autres timbales et percussions diverses, ces « questions sans réponse » dont le compositeur parle dans sa dédicace de l’œuvre au musicien interprète, Jerémie Cresta, véritable virtuose de l’art de jouer plusieurs instruments en même temps dont on admirera à plusieurs reprises dans la soirée le sens du rythme.
Car nos percussionnistes, Jérémie Cresta, Christophe Vella, Charles Gillet et Sylvie Dukaez, sont beaucoup sollicités lors de la soirée, et à nouveau lors du morceau de Gorges Crumb, « An Idyll for the Misbegotten » (1966), où l’élégante et virtuose flûte de Sabrina Maaroufi fait des merveilles dans l’interprétation de ce beau morceau.
Hillary Summers revient pour « the Sleeper » du même George Crumb (1984) écrit pour une soprano, sur un poème de Edgar Allan Poe où instrument (piano) et chant se marient très bien permettant à l’auditeur d’apprécier cet opus assez rare.
Deux œuvres de Ligeti concluent la soirée, d’abord des extraits des « Etudes » avec fanfare et cordes à vides et surtout le fameux « Síppal, dobbal, nádihegedűvel » ( avec sifflets, tambours et violons) où les nombreux instruments des percussionnistes, y compris des harmonicas et des marimbas, se succèdent pour former un très riche accompagnement à la voix d’Hillary Summers, elle-même sollicitée pour donner du corps à l’ensemble par une série de phrases rythmées où les consonnes se heurtent. Composé de sept mélodies dont la première s’intitule « Fabula » et donne son tire au concert, ce cycle sur des poèmes de Sándor Weöres est époustouflant de virtuosité et de sonorités inhabituelles.
Les concerts de l’amphithéâtre Olivier Messiaen, ont lieu régulièrement et permettent à des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Paris de se produire en formation de chambre, dans des programmes originaux. Le prochain concert aura lieu le 13 mai, et s’intitule : Orient. Il visitera des oeuvres de Aram Khatchatourian, Alexandre Glazounov et Béla Bartók.
Photo de Hillary Summers, © Claire Newman Williams