Ce soir du 18 mai, le Trianon n’affichait pas complet pour le concert de Rival Consoles. Pourtant, Ryan Lee West, qui se dissimule derrière ce nom de scène, demeure un acteur incontournable du cercle de la musique électronique britannique – londonienne, plus précisément. Il fut même le premier artiste à rejoindre la maison de disque emblématique « Erased Tapes Records », label fondé par Robert Raths au début de 2007, qui compte désormais dans ses rangs des célébrités telles qu’Ólafur Arnalds et Nils Frahm.
Bien qu’il soit moins célèbre et moins médiatique que ses pairs, son apport à la musique électronique n’en demeure pas moins considérable.
Né à Leicester en 1985, il s’intéresse dès son plus jeune âge à la musique et devient guitariste. Son diplôme universitaire en poche, il sort très tôt son premier EP sous le nom de scène Aparatec. La même année, il signe chez Erased Tapes sous l’identité de Rival Consoles et se trouve rapidement classé dans les courants ambient – rendu célèbre par Brian Eno – et techno minimale, originaire de Berlin.
En 2009, la maison de disques a la bonne idée de sortir un EP, « 65/Milo », réunissant Rival Consoles et Kiasmos (le duo formé par Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen), qui aura le mérite de le révéler à un public d’initiés.
« Par le passé, j’assumais assez mal ce rôle d’outsider », dit-il. « Désormais, je me sens privilégié. Je suis le seul à défendre les couleurs de l’électro. Dans le même temps, je peux me nourrir des idées développées par un musicien comme Nils Frahm. Que ce soit sur un versant créatif ou purement stratégique, ma position est idéale. »
Aujourd’hui, fort de neuf albums et six EP, tous sortis chez Erased Tapes Records, il parcourt le monde pour rencontrer un public de plus en plus conquis par ses spectacles. Il vient d’entamer une tournée mondiale pour promouvoir son dernier LP, « Landscape from Memory », tout juste sorti.
Ryan est apparu sur scène très simplement, sans micro, saluant timidement le public. Il s’est installé à ses synthétiseurs analogiques et le spectacle a commencé – un spectacle total où la vidéo projetée sur l’écran du fond et la musique ne faisaient plus qu’un. L’officiant, placé presque constamment dans la pénombre, s’effaçait au profit de l’œuvre. Le public se trouvait submergé par une fiction sonore telle que décrite par Kodwo Eshun ou Mark Fisher. Nous étions à la fois emportés par la beauté plastique de la vidéo réalisée par Sky Ainsbury, maître de l’art numérique, et par la montée évocatrice des sons qui semblaient émaner de l’écran.
Nous baignions dans une ambiance futuriste rappelant le sentiment éprouvé lors de la projection de « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick, autre alchimiste de génie du son et de l’image.
Tantôt très sombres, explorant toute une palette de nuances de noir et blanc, tantôt éclatantes de couleurs vives sur des rythmes techno minimalistes aux sonorités d’influence germanique, on percevait l’influence du travail réalisé notamment avec Ólafur Arnalds dans certains sons de Kiasmos, ou avec Jon Clark dans l’utilisation des nappes de synthétiseurs.
Durant la soirée, Ryan nous a proposé l’intégralité de son dernier album « Landscape from Memory ». Se sont succédé le magnifique « Catherine » avec sa mélodie très cinématographique, « Coda » avec ses sonorités prog rock et « Known Shape » avec ses rythmes syncopés si envoûtants.
Le concert s’est achevé comme il avait commencé : Ryan Lee West, sans prononcer un mot, a salué humblement un public aux yeux et aux oreilles emplis d’images, puis s’est éclipsé.
Avions-nous assisté à un concert de Rival Consoles ou nous étions-nous prêtés à une expérience collective d’hypnose futuriste ?
Longtemps, la musique électronique a été perçue comme l’apanage de bidouilleurs d’enceintes et de synthétiseurs assemblant des sons étranges et hétéroclites. Certains artistes populaires y ont apporté un éclairage nouveau (George Harrison avec « Electronic Sounds » en 1969). Le cinéma y a puisé des sources d’inspiration inépuisables (« Phantom of the Paradise », réalisé par Brian De Palma et sorti en 1974), et nombre de séries font aujourd’hui appel aux artistes de musique électronique et contemporaine. Des groupes tels que Kraftwerk ont contribué à l’avènement du courant techno. La musique électronique continuera d’alimenter de multiples courants artistiques.
Visuel : ©SP