Première prestation live à Paris du trio new yorkais qui enflamme les dances-floors et les réseaux sociaux. Mais, what the fuck ?
Trump élu 48 heures plus tôt, on peut confirmer que le parfum de mensonge et de trahison qui flottait un peu partout sur nos petites histoires a fini par nous enivrer et jeter le discrédit sur tout ce qui de près ou de loin ressemble à une story. Écran de fumée 2024. Ce n’est ni le New York City de 1975 ni celui de 1992, les grands récits sont cette fois découpés avec une pointe d’humour sur les réseaux sociaux à l’adresse de ceux qui ne les ont pas connus. Ce n’est même pas du mensonge, mais juste de l’ignorance, non pas «je ne sais pas» mais «je m’en fous». Par la force des choses – qui comprend réellement ce qu’il est en train de se passer ?- Il ne reste plus qu’à taper sur les tambours et initier la fête, la deconstructive party. Et là-dessus, Ben Sharf, le batteur de Fcukers, reste impressionnant, lorsqu’on lui laisse un peu de place dans le brouhaha de la teuf synthétique trempée de guitare et clavier rock que le groupe présente fièrement en version live. La potion magique de Sonic Youth et de Talking Head en version « le jour d’après » ? Une sorte de «Rage against the machine» sans conscience politique. Une invitation – non pas à danser- mais à se prendre une décharge big beat, bercé par la voix sardonique et glacée d’une créature intelligente et artificielle qui se démène au premier plan.
Fcukers pourrait se concentrer sur la création de chansons imprévisibles et sophistiquées et nourrir une pensée mordante, titillant son époque comme l’on mordrait violemment le sein qui nous nourrit, parce qu’on l’aime et qu’on ne détesterait pas le dévorer parfois. « Mothers », le morceau qui a permis au groupe de se faire un nom a immédiatement été réarrangée dans la lessiveuse house de Junior Sanchez. Le suc de cette rêverie froide, volutes de lumières et de percussions rythmiques, a jailli comme réarmé au bon rythme du clavier funk, ouvrant un chemin de traverse dans la chanson pop qu’emprunte avec élégance Shanny Wise, celle que l’on a d’abord imaginé pure IA et qui se révèle plutôt une créature post-hollywoodienne; post glamour, post sex appeal. Post-tout.
Puis, l’année suivante, vient l’esquisse du chef-d’œuvre, « I don’t Wanna », messe gothique mâtinée de soul et d’une pointe de R&B, un peu niquée dès la minute quinze par un clavier lounge qui n’a pas retenu les leçons de Junior Sanchez et dénote une incompréhension totale de la vibration soul. Reste ce bouleversant « I need your love » susurré de très loin, écrit tagué sur la vidéo officielle. Un moment de grâce durant lequel les masquent tombent. Fcukers joue dans la cour des grands.
Mais il est encore trop tôt, le groupe a sans doute peu l’habitude d’enchaîner les dates en tournée et déboule ici comme il peut, any minute now. Sur la scène manque la projection d’images « juicy and flashy » qui fait sa radicalité, celles qui bousculent de couleurs la mélancolie hivernale et traverse les paradis artificielles pour échouer dans ce cimetière d’objets ordinaires, que l’on regarde de loin, «en réel», à travers ses pensées, ses écouteurs et ses problèmes («champagne in my corn flakes»). Par soustraction ne reste que l’énergie de la fête plaquée sur la déroute du storytelling néo-libérale, la démocratie du divertissement et du « What the fuck ». Un hymne à la jeunesse encore tout dégoulinant de guitare électrique et de No Wave. Live, c’est une musique de bourrin que l’on prend dans la tête le temps d’un morceau ou deux, avant de sortir pour revenir un peu plus tard, taper un nouveau shot (Fuck No «Homie don’t shake»). Pas de panique, tout est filmé, « pas de souci » comme on dit. Comme nos yeux posés sur la cage du MMA, la cage de notre désir et du refoulé, le souvenir du glauque et du post-midnight. La fête rustre et basique contre le quant-à-soi adipeux des cousins maudits de Donald Trump qui – eux aussi- se moquent bien de ce qui adviendra de la suite.
Visuel ©: Clara De Latour