Ce dimanche 27 août était marqué par quatre rendez-vous au Festival Berlioz de la Côte Saint-André. Parmi eux, un concert de Sarah Nemtanu et Romain Descharmes autour de « Dix impressions d’enfance » de George Enescu et une Damnation de Faust dirigée par Charles Dutoit avec plus de 200 musiciens sur scène : deux moments musicaux exceptionnels qui nous ont fait repenser le mythe au prisme de l’enfance.
Après le déluge du samedi soir, qui a malheureusement provoqué un report du Carmina Burana à l’année prochaine, c’est dans la fraîcheur mais sous un ciel sec que la journée s’est ouverte au Festival Berlioz.
La public était massé sous la halle médiévale de la Côte Saint-André, pour certains et certaines assis en hauteur, afin d’écouter l’Ensemble à Vent de l’Isère dans un programme entraînant : Prokofiev, Florent Schmitt, Léonard Bernstein et Oscar Navarro. Le chef d’orchestre Éric Villevière expliquait le programme et la réparation des instruments avec générosité devant un auditoire très concentré. Le final sur West Side Story nous a presque fait danser.
À 17h, dans la jolie lumière bleue et la chaleur romane de l’église Saint-André, la violoniste Sarah Nemtanu et le pianiste Romain Descharmes proposaient de nous immerger dans le programme de leur dernier album. Ce dernier éclaire par plusieurs facettes l’œuvre de George Enescu, Impressions d’enfance (alpha music). Il s’agit d’une suite de dix tableaux pour piano et violon qui s’est donnée en 1942 à Bucarest et qui est dédiée au premier professeur de violon du compositeur.
Tout tournait autour d’Enescu, y compris l’immense sourire de Sarah Nemtanu, excellente pédagogue. Premier violon de l’Orchestre National de France depuis 20 ans, elle est la fille du violoniste Vladimir Nemtanu. Ce dernier a fui la Roumanie en 1979 pour un poste à l’Orchestre National de Bordeaux où il est resté 41 ans. C’est donc à un voyage très personnel que Sarah Nemtanu nous conviait avec ce concert. À travers une première pièce d’Enescu, Impromptu concertant et la Sonate pour violon et piano de Ravel qu’Enescu a jouée avec le maître, le duo prépare doucement le public à entrer dans la musique très horizontale des « impressions ». On nous invite à rencontrer, après le passage solo du « Menestrier » (la violoniste, donc), le « Ruisselet au fond du jardin », « L’Oiseau en cage » ou « Le Grillon ». Une interprétation majestueuse où l’on se rend compte que l’enfance peut-être beaucoup plus complexe que le fameux âge adulte. Une complexité marquée par le dépassement d’une enfance personnelle pour « photographier des moments de son pays ».
Les peuples ont une âme. Rêve d’enfant d’Ysaÿe apporte beaucoup de douceur et injecte sa seule dose de nostalgie au concert. « L’Improvisa » de Nino Rota nous a été présenté comme une friandise coupable et c’était formidablement beau et clair. Enfin, les Six danses populaires roumaines de Bela Bartok viennent nous rappeler que l’enfance, c’est aussi un certain monde oral perdu que la musique permet de retrouver. D’une manière limpide et merveilleuse, le violon de Sarah Nemtanu se fait plus chuintant et le rythme du piano plus saccadé. « Alouette » de Grigoras Dinicu est un clin d’œil mutin à tout un monde qui nous a construits. Une enfance à la fois exigeante mais aussi pleine de maestria et de danses donc, à mille lieues des clichés sur la candeur de la jeunesse
« J’ai peur comme une enfant » chante la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac en Marguerite après sa rencontre avec le ténor Marc Laho en Faust et manipulée par un John Relyea absolument diabolique. Après le rendez-vous quotidien du « Off des fanfares » qui nous a aussi fait retomber en enfance via la musique de films et une petite explication sur l’œuvre du soir à la Taverne, le concert de 21h montrait une sortie d’enfance mythique avec La Damnation de Faust.
C’était le grand chef suisse Charles Dutoit, 87 ans, qui dirigeait avec une énergie exceptionnelle l’œuvre de Berlioz. Sur scène, nous pouvions entendre pas moins de 3 chœurs (Radio France, Petits Chanteurs de Lyon et Chœurs de Jeunes de Ryméa qui font une apparition juvénile pour le final). Il s’agissait simplement d’une des plus belles versions de cette œuvre qu’il nous ait été donné d’entendre. Alors que Berlioz a été hanté par ce premier Faust de Goethe et l’a traîné avec lui comme un souvenir d’enfance pendant plus de 25 ans, cette version, où régnait le puissant Orchestre de la Suisse Romande, a fini de nous convaincre que l’œuvre vit pleinement en mode « concert ».
En effet, il n’y a pas vraiment besoin de mise en scène pour que la musique de Berlioz nous fasse ressentir le mal-être du vieux savant et la séduction d’un diable picaresque. Les mélodies et les chœurs montent du cœur de l’Europe, dans une Hongrie mythique où le folklore brille et où l’on s’exprime par histoires, par contes pour enfants. On retrouve tout un bestiaire comme chez Enescu : le rat, merveilleusement interprété par le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer et la puce qui se fait faire des habits de cour par le charismatique John Relyea. Et l’on n’attend que l’histoire du Roi du Thulé où Stéphanie d’Oustrac brille avant de finir de nous bouleverser par l’air « D’amour, l’ardente flamme ». La victoire du diable est de courte durée en version concert : C’est l’explosion de blanc et de lumière des chœurs d’enfants et l’image des bouquets colorés remis aux artistes ovationnés debout que nous retiendrons.
Alors que ce lundi 28 août, le Festival Berlioz invite les spectateurs à la création du Hercule de Zad Moultaka sur un livret de Bruno Messina, directeur du Festival, nous quittons la Côte Saint-André avec l’image du grand Cheval de Troie installé dans la Cour du Château Louis XI. Cette journée « mythique » nous laisse avec l’impression forte que l’adulte que nous sommes n’est qu’une grande coquille avec des dents cachant dans ses flancs la réelle origine du mythe : nos enfances.
Le Festival Berlioz se poursuit jusqu’au 3 septembre à la Côte Saint-André, pour en savoir plus rendez-vous sur le site du Festival, ou dans les lignes de notre interview-cult du directeur du Festival, Bruno Messina.
visuels (c) Bruno Moussier & YH