Le Théâtre des Champs-Élysées proposait deux soirées, les 25 et 26 janvier, avec un programme insolite et passionnant qui mêlait les célèbres Carmina Burana de Carl Orff à la moins connue suite n°2 « Bacchus et Ariane » d’Albert Roussel. Sur scène, les magnifiques voix de Regula Mühlemann, Matthias Rexroth et Ludovic Tézier étaient soutenues par l’Orchestre National de France (dirigé pour l’occasion par Kazuki Amada) avec le Chœur de Radio France et la Maîtrise de Radio France.
Par Emanuele Zazzero
La soirée a commencé par la suite de Roussel, que le compositeur français a tirée du ballet « Bacchus et Ariane » en deux actes, sur un argument d’Abel Hermant, créé pour l’Opéra de Paris en 1931. Les deux personnages sont alors bien caractérisés par les éléments orchestraux : le réveil d’Ariane est évoqué par les solos d’Alto et de violon, les péripéties de Bacchus par les différentes interventions des instruments à vent. C’est une œuvre qui mêle des thèmes exotiques à la grande tradition de l’orchestration française.
À l’origine des Carmina Burana, il existe un manuscrit médiéval trouvé dans les Alpes bavaroises en 1803 et publié en 1847. Ces poèmes en latin (mais avec quelques textes en haut allemand et en provençal) attisent alors la curiosité du compositeur allemand Carl Orff (grand spécialiste de la musique ancienne) qui compose une cantate qui verra sa création en 1937, à l’Opéra de Francfort. Les thèmes abordés par les Carmina – ainsi que les styles musicaux utilisés par le compositeur allemand – sont de natures diverses : chants religieux, chants d’amour, poèmes satiriques… tout comme les thèmes des poèmes ; en effet, en plus de l’austère style modal et ostinato du célèbre « O Fortuna », on retrouve des chansons au style brillant et comique, des airs mélodieux et des scènes théâtrales (comme l’air du contre-ténor « Olim lacus colueram »), le tout dans le cadre d’une grande orchestration avec la nette influence de Stravinsky .
Parmi les grandes voix de la scène lyrique actuelle, Ludovic Tézier a, ce soir, fait preuve d’une grande polyvalence dans l’interprétation des différents chants, passant du pur style monodique aux changements brusques de registre vocal (avec fausset) dans la chanson « Dies, nox et omnia ».
Regula Mühlemann possède, quant à elle, une magnifique voix de soprano lirico-leggero, équipée d’émission de couleur ambrée et une excellente égalité des registres.
Matthias Rexroth est un contre-ténor à la voix chaleureuse et large, il nous a offert une interprétation magnétique (avec une grande maîtrise théâtrale) du chant « Olim lacus colueram ».
La direction de Kazuki Yamada est apparue au premier abord très convaincante, mais est loin d’être exempte de défauts : sa gestuelle est floue (parfois même très bizarre) avec un fort risque de décalage entre les chœurs et l’orchestre ; en conséquence, son style paraît comme « improvisé ». En revanche, les ensembles de Radio France ont fait preuve d’un immense professionnalisme, notamment l’excellent chœur (dirigé par Martina Batič) qui a montré sa cohésion aussi bien dans les pièces de section alternée (chœur d’hommes, chœur de femmes) que dans les pièces de grand ensemble. L’on devait également noter les voix magnifiques et cristallines de la maîtrise de Radio France (dirigée par Marie-Noëlle Maerten) dont l’intonation extraordinaire rivalisait avec leurs « collègues » adultes.
Aux côtés des chœurs, grâce à la virtuosité de ses solistes (notamment les instruments à vent) et à sa sonorité légère et lumineuse, l’Orchestre national de France a assuré le succès de la soirée.
Malgré, donc, les incertitudes sur le chef, la salle comblée du Théâtre des Champs-Élysées a manifesté sa satisfaction envers tous les artistes et son appréciation face à cette combinaison insolite de répertoires.
Visuels : Chœur de Radio France © Christophe Abramowitz