La diva Clara Luciani a sorti à l’automne son nouvel album, Mon sang, dont elle a accouché en même temps qu’elle a donné la vie. La jeune femme, devenue maman, fait de cette nouvelle condition, une production rouleau compresseur qui finit par émouvoir.
On sait qu’une fois qu’elle a trouvé son mot thème (cœur en 2021, sang en 2024), Clara Luciani écrit d’un trait. Une plume instinctive où comme par magie chaque mot est à sa place, roule sur les mélodies et résonne en chacun. En l’occurrence sûrement plus en chacune. Chacune de ses chansons à ce quelque chose à l’os et sans chichis, tout en ayant la classe des Demoiselles de Rochefort, ce quelque chose que l’on appelle sincérité. Et pourtant, cet album, on l’aime et il est agaçant. On l’a en tête souvent, régulièrement. Mais quelque chose agace, irrite. Et avec cette sensation, la peine à se départir d’une subjectivité pour être la plus sincère possible, à son tour, n’est pas aisée.
L’avantage de l’exercice de critique est qu’il est empreint, finalement, de cette subjectivité, bien que l’on se cache parfois derrière une objectivité, qui en fait n’existe pas. La subjectivité est personnelle, mais elle se doit d’être transparente et honnête. Tout le monde écrit de quelque part. Il est juste bon de s’y confronter, de se rendre compte qu’à l’écoute, la semelle frappe la cadence, et qu’un petit bout de soi s’imagine en héroïne de comédie musicale. Puis son « Interlude » finit de nous transpercer le cœur… Alors on se questionne.
« Au revoir, ma demoiselle – Vous vous en foutiez de tout – Vous étiez libre et rebelle – Jamais à genoux – Au revoir, ma demoiselle – Vous me manquerez beaucoup – Je vous recroiserai – Au détour d’un miroir flou ». Piano-voix envolé. Voix vaporeuse. Poésie délicieuse. On se croirait chez Jacques Demy. Et l’on comprend que de cet album, au moment où il est sorti et de là où l’on est, on va préférer la face B, qu’il fallait passer l’écoute des trois premiers titres pour se laisser attraper.
Lorsqu’elle nous parle de « Romance » et de « Chagrin d’amitié », qu’elle se met au piano et nous murmure « tout le monde s’en va à la fin », et ces ami•es avec qui l’on forme « un monstre à deux têtes », on ne peut qu’acquiescer. L’universalité de ces textes semble comme plus prenante, plus concertante et sa pop moins dans une efficacité radiophonique. On déambule, on s’imagine dans un décor 80’s outre-Manche. On marche dans les rues comme les Beatles sur l’iconique pochette d’Abbey Road quand résonne dans nos écouteurs le rock sobre de « Allez » où elle nous chante que tout peut arriver.
Et oui, s’il faut être honnête, ce qui nous fait crisser l’ouïe, c’est cette pop rouleau compresseur à hits qui ouvre l’album. Cette pop que l’on a en tête, car la ritournelle nous reste. Cette pop qui, sur quelques titres, a pour seul sujet, son enfant. L’enfant que l’on rencontre (« Cette vie »), l’enfant que l’on aime infiniment (« Tout pour moi »), l’enfant qui naît de soi (« Mon sang »), l’enfant que l’on encourage à vivre sa vie (« Roule »). On se dit que c’est beaucoup, que c’est niais, que c’est se réduire. Puis on se dit que l’on a peut-être tort, que cela parle d’elle, que Clara Luciani écrit à partir d’elle et qu’à ce moment-là, ce qui coulait, c’étaient ces mots-là. Et que c’est peut-être cela, qui est beau.
Et la preuve, il ne faut pas s’arrêter à ces premiers titres, car plus loin elle nous parle d’autres choses, d’un autre vécu, de la filiation, de sa solitude, de ses angoisses, de ses désillusions. Et l’on se rappelle une vieille théorie que l’on s’est forgée, qu’un album comme un film, c’est une rencontre. Il y a de bons moments pour les intégrer. Peut-être que dans quelques mois, quelques années, ces premiers morceaux nous feront chavirer, car au bout du compte ce troisième opus est assez magistral en la matière.
© Pochette de l’album