« Un homme sans titre » de Xavier Le Clerc : Le livre de mon père

On pourrait être rassasié de tous ces livres publiés autour de la question du transfuge de classe ou de l’hommage au père, à la mère. La faute à Edouard Louis qui aurait ouvert la brèche de ce genre en soi ? Nous ne rentrerons pas ici dans le débat puisque, ce qui compte avant tout, c’est la qualité littéraire et sensible qui se dégage d’Un homme sans titre. Certes, ce récit, publié pour la première fois en 2022 chez Gallimard, revêt une dimension sociétale, historique et politique. Pour autant, celle-ci ne peut occulter les qualités littéraires du texte de Xavier Le Clerc.

Le livre s’ouvre sur l’auteur qui, en relisant Albert Camus, ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre Misère de la Kabylie, un reportage publié en 1939 par le futur prix Nobel de littérature, et l’enfance de son père. Pauvreté, saleté, famine, maladie : le tableau de la colonisation se révèle peu reluisant. D’autant plus qu’en sus du portrait de son père Mohand-Saïd, Xavier Le Clerc tire aussi le portrait de ses grands-parents, et notamment de son grand-père qui se tue à la tâche pour subvenir aux besoins de sa famille. Jeune adulte, Mohand-Saïd quitte l’Algérie pour rejoindre la France. Les heures s’enchaînent à la Société métallurgique de Normandie, tandis que Xavier Le Clerc voit son père s’enfermer dans un silence de plus en plus profond.

Le spectre de la colonisation

Dans ce court récit, Xavier Le Clerc arrive parfaitement à mêler la grande Histoire, et notamment bien sûr la décolonisation de l’Algérie, et la petite histoire, celle de ses parents et de ses frères et sœurs. L’auteur décrit concrètement les conditions de vie en Algérie comme en France, et le spectre de la guerre d’Algérie qui continue de rôder, même après 1962 et sur le territoire hexagonal : « au moins contrôle de papiers dans la rue, ils se sentaient accusés de nourrir les fellaghas, comme si la guerre continuait d’habiter ces jeunes travailleurs qui avaient quitté l’Algérie en feu ».

Né en mai 1979, Xavier Le Clerc tire aussi son propre portrait, celui d’un gosse qui se passionne pour la langue française tout en évoluant dans une famille pauvre. Les premières moqueries arrivent rapidement pour ce garçon « poli et très sensible », dont l’homosexualité sera toujours taboue. Et Xavier Le Clerc de questionner l’héritage de son père, cherchant à « démentir la rumeur d’adoption ».

« La première moitié des années 1990 marquait les désillusions des beurs, qui avaient tant espéré des marches pour la dignité, des slogans et des mouvements antiracistes, avec l’outrecuidance de s’être imaginés français comme leurs camarades d’école. Le mot beur, verlan de Arabe, allait devenir le symbole d’une ségrégation qui perdurerait dans les médias, la politique et le monde du travail. Désenchantés, de nombreux jeunes répondirent par le culte de la force : susciter la peur chez l’autre pour contrer le mépris ou pire l’indifférence. D’autres furent happés par une nouvelle came identitaire qui s’était propagée, le mythe du retour aux sources dont la pièce maîtresse serait l’instrumentalisation de l’islam. »