Dans son roman, écrit en français, l’écrivain japonais Akira Mizubayashi parle du destin tragique d’un jeune violoncelliste emporté dans la folie de la guerre. Il écrit une ode très émouvante à la musique et au métier de luthier.
Début avril 1945, Ken Mizutani reçut «le petit papier rouge». Ce violoncelliste exceptionnel, formé à Paris auprès des plus grands maîtres doit partir à la guerre. Il remet son violoncelle, à Hortense Schmidt, sa luthière française qu’il aime beaucoup. Il s’agit d’un instrument fabriqué en 1712 par le luthier vénitien Mattéo Goffriller. Un violoncelle inoubliable par son son, par sa couleur aussi: il est «rouge cerise foncé, brillant comme un diamant noir». Après une nuit d’amour, Ken joue le prélude de la 1ère suite pour violoncelle de J.S.Bach. Il ne reviendra pas. Hortense décide alors de créer la réplique parfaite de ce violoncelle qui sera le Mausolée de Ken et qu’elle baptisera «Pax Animae»
Soixante dix ans plus tard, Guillaume Walter est l’heureux détenteur du violoncelle Goffriller. Alerté par un dérèglement subtil, il apporte son instrument à une jeune luthière Pamina, la petite fille d’Hortense. A la vue du violoncelle elle ressent une sensation de déjà vu. Cet instrument lui rappelle celui de sa grand-mère. Elle y découvre une «fracture d’âme» et dans un trou délicatement creusé dans le tasseau, la lettre de Ken. Intrigué Guillaume va pouvoir reconstituer le drame qui a affecté les grands parents de Pamina lors de cette période sombre de l’histoire japonaise.
La Suite inoubliable est la première suite pour violoncelle seul, de J.S. Bach. Elle constitue la trame du récit. Prélude, Allemande, Courante, Menuet, Gigue, les chapitres du roman portent le nom des pièces de la Suite. La scène, où Ken joue le prélude à Hortense, dans le silence du matin, en pleine nature, est très belle, très émouvante. A la fin du roman Guillaume joue en concert à Tokyo l’intégrale des Suites pour violoncelle de J.S. Bach. La description en est somptueuse: «Dans un déploiement olympien de sons graves la salle de concert se transforme en une église romane à l’acoustique flamboyante». La musique prend alors une dimension quasi métaphysique: «De ses suites se dressait magistralement la figure d’une humanité nouvelle à venir»
Mais auparavant, en 1945, la musique est un effort désespéré pour survivre, «pour résister à cette folie». Omniprésence de la guerre et de la mort, bombardements massifs, fanatisme militaire et impérial, l’époque est sombre. Ryo Kanda essaiera de résister. Après le départ pour le front de son fils, il gravera sur un banc dans la forêt, face à un cerisier pas encore en fleurs « In terra pax hominibus bonae voluntatis. Dona nobis pacem ». Ken lui dédiera sa lettre testamentaire.
Ce livre c’est aussi la découverte du métier de luthier, avec ses gestes d’une grande beauté, d’une incroyable précision. Un art qui se transmet depuis des siècles. Car Akira Mizubayashi croit au dépassement de l’homme par l’art et par la musique en particulier. D’où une grande douceur, une grande tendresse entre les personnages malgré le contexte.
Akira Mizubayashi est un écrivain et universitaire japonais qui écrit ses livres en français. Le lecteur pourra admirer son sens de l’esthétique, la beauté du son style, son élégance, sa poésie. Il exprime son amour de la langue française, de sa musicalité à travers les propos de Ken: «le français est la langue que je crois entendre et parler quand je joue du violoncelle».
Akira Mizubayashi, Suite inoubliable, Gallimard, 256 pages, 20 Euros, sortie le 17 08 2023.
Visuel(c): couverture du livre, éditions Gallimard.