Après les magnifiques Shangri-La et Carbone et Silicium, Mathieu Bablet persiste et signe avec Silent Jenny, confirmant là tout son talent dans le domaine de la science-fiction.
Etonnant de voir à quel point la question des insectes pollinisateurs traverse deux œuvres importantes de cette fin d’année. Au cinéma, Yorgos Lanthimos met en scène, dans Bugonia, deux amis qui kidnappent la PDG d’une grande entreprise, persuadés qu’elle est une extraterrestre responsable de la disparition des abeilles. Dans Silent Jenny, Mathieu Bablet est plus catégorique : les insectes pollinisateurs ont disparu de la planète. Ne subsiste qu’un immense terrain vague dans lequel les humains survivent à bord de « monades », des villages motorisés dont la raison de vivre est le mouvement même. Jenny, résidante de la monade du Cherche-midi, réalise des missions pour Pyrrhocorp : grâce à sa combinaison, elle peut rapetisser dans l’infiniment petit, à la recherche des dernières traces d’ADN d’abeilles.
Silent Jenny multiplie les références à la grande science-fiction. Le terme de « monade » évoque le roman Les Monades urbaines (1971) de Robert Silverberg. La volonté d’être toujours en mouvement, d’aller perpétuellement de l’avant de ces monades peut rappeler La Horde du contrevent (2004) d’Alain Damasio. Le dessin de la monade se trouve au croisement du Château ambulant (2004) d’Hayao Miyazaki et de la couverture de la vieille édition J’ai lu du Monde inverti (1974) de Christopher Priest.
L’album transpire le génie. Si certains pourront trouver le scénario un peu lâche, notamment vers la fin, la force des dessins et de la mythologie fait de Silent Jenny une des meilleures bandes dessinées de l’année. Chaque personnage se retrouve caractérisé, chaque page tournée nous stupéfie par sa beauté. Mathieu Bablet crée un véritable monde avec ses références et son fonctionnement, mais aussi son humour (voir les épisodes avec l’immense canon censé détruire les monades). Une magnifique BD à offrir à Noël.
Silent Jenny, Mathieu Bablet, Editions Rue de Sèvres, 320 pages, 31,90 €
Visuel : © Couverture du livre