À l’occasion des trente ans de la disparition du danseur étoile Rudolf Noureev, la journaliste Patricia Boccadoro vient de publier Rudolf Nureyev – As I remember him, un ouvrage en anglais richement illustré qui témoigne de l’amitié et de l’admiration qu’elle portait à l’artiste depuis les années soixante.
Rudolf Noureev, danseur du Kirov formé par Alexandre Pouchkine, fait sensation à Paris en 1961 à l’Opéra Garnier (cf. sa première interview donnée à René Sirvin, lequel l’associe à Youri Gagarine : « Avec lui, les Russes nous ont envoyé un homme de l’espace ») mais aussi dans une salle bien plus populaire : au palais des Sports (d’après les souvenirs d’une de nos proches). Passé à l’ouest au moment de son embarquement au Bourget, exfiltré par les services français (à l’époque des plus efficaces), il fait par sa défection la une des médias et se produit sur scène au côté de Rosella Hightower et de la troupe du marquis de Cuevas avant de se rendre à Londres.
Invité par Covent Garden, il forme un duo de légende avec Margot Fonteyn. La presse écrite, la télévision et le cinéma lui font les yeux doux. Il est alors aussi dans le vent que les quatre garçons surnommés Beatles. La télévision couleur américaine le présente au public, outre-Atlantique. Il participe à des festivals comme celui de Spolète. En 1966, il tourne un film 35mm couleur de sa version du Lac des cygnes avec Margot Fonteyn et le corps de ballet de l’Opéra de Vienne. D’autres suivront, comme son Don Quichotte, réalisé en Australie ou la fiction de Ken Russell, Valentino, avec la star française Leslie Caron. Un culte lui est rendu en Grande Bretagne comme ailleurs. Les plus grands photographes gardent trace de lui à l’ère du Swinging London.
Patricia Boccadoro rappelle que « dès 1971, Rolf Liebermann [administrateur qui invitera par la suite Carolyn Carlson à l’Opéra de Paris] suggéra d’engager Rudolf Noureev comme directeur artistique à Garnier mais ses exigences étaient trop élevées : il voulait tout danser lui-même et amener avec lui la moitié du corps de ballet anglais! » L’emprise lifarienne d’alors sur l’établissement et les rapports franco-soviétiques sont tels qu’il faudra attendre 1983 pour que Noureev soit nommé à la tête du ballet de l’Opéra de Paris « avec l’approbation de François Mitterrand ». Il a pu heurter les gardiens du temple dans la place (de l’Opéra), en effaçant toute trace de Lifar, mais aussi par ses manières de moujik.
L’auteure le cite à ce propos : « J’étais forcé d’être autoritaire, simplement parce qu’il était impossible de diriger une compagnie de 150 danseurs de manière démocratique. Ils avaient le talent, je voulais leur donner l’enthousiasme et la précision.(…) Noureev héritait d’une galaxie de jeunes étoiles potentielles, parmi lesquelles : Sylvie Guillem, Isabelle Guérin, Élisabeth Maurin, Manuel Legris et Laurent Hilaire. » Surtout, il ose et, à la différence d’un Millepied, parvient à briser le système hiérarchique de l’institution. Dès 1983, l’auteure découvre « des danseurs jamais remarqués auparavant prendre les rôles principaux ».
Visuel : couverture de Rudolf Nureyev – As I remember him, The Book Guild Ltd, 2023. Photo : Frederika Davis © Sasha Davis.