Pour qui aimait la musique de Jean-Louis Murat, sa disparition en mai 2023 a fait l’effet d’une déflagration. Il suivait les saisons avec une obstination superbe (« février de tous les mois le plus matois »), livrant quasiment un album par an (« A chacun sa vile manière de faire des chansons, c’est une affaire de bagou, de bourdon », dans Chappaquiddick), qu’il nous semblait « paré de couleurs éternelles ».
Frank Loriou, graphiste et photographe, a collaboré avec Jean-Louis Murat au fil des années. Timide, impressionné, il a peu à peu apprivoisé l’Auvergnant sauvage, lui rendant visite à l’improviste l’été, à Douharesse, près d’Orcival. Le travail sur les pochettes des albums résultait de conversations, d’impressions, de rêveries partagées autour d’un thème. Parfois, pendant quelques années, Frank Loriou n’avait plus de nouvelles. Puis, Jean-Louis ou Laure, sa femme, le rappelait, et la relation reprenait tout naturellement.
Aujourd’hui, presque deux ans après sa mort, ce livre représente un bel objet, fait main, artisanal, comme les aimait Jean-Louis. Des photographies en liberté, par séries, prises le plus souvent dans sa tanière d’Orcival, dans les champs ou en intérieur, comme chez son voisin Emile, à qui est dédiée la sublime chanson « Accueille-moi paysage » (« Accueille mon vœu / Fais de moi paysage / Un nuage aux cieux »). Jean-Louis Murat s’y montre le visage concentré ou perdu dans les limbes de ses pensées, détaché. Le visage creusé, marqué, ou taquin, rajeuni par une expression de gamin.
Préfacé par le philosophe Charles Pépin, qui dit son admiration pour l’insolence irréductible de Murat, l’ouvrage laisse la part belle au texte, avec un magnifique récit de Frank Loriou. L’ami a besoin de partager ce qui nous reste, des images, des musiques, et surtout une poésie folle, dans les chansons comme dans la vie quotidienne, si cohérente avec son œuvre. Exigeante, rebelle, agaçante, orgueilleuse. « Au Mustang / Interdit / aux liqueurs / V’là la vie ». Saisir ces instants de vie simple, heureuse ou plus tourmentée, mais toujours intimement liée à la nature (« C’est le cri du papillon »).
On sait que Jean-Louis Murat adorait la photographie, au point de prendre chaque jour un autoportrait, sans souci des rides ou des expressions, au hasard, pour voir ce qu’il en était à ce moment précis. Dans ce livre, nous voyons des photos-rencontres, correspondant à des étés successifs, à des états de mélancolie ou de joie pure. En chapeau de paille à vélo (« Jim murmurant à cheval / émouvant / dans la nuit de son âme »), ou altier en costume de Napoléon (« Des Espagnols m’ont pris sur leur navire / Aux bords lointains où tristement j’errais »), l’homme se montre à nu ou en représentation, fidèle à son caractère si singulier.
« La petite idée derrière la tête l’aura suivi ».
Photorama, de Frank Loriou, préface de Charles Pépin, Platinum Books, les éditions Le Boulon, 2025.
visuel (c) Couverture du Livre / Frank Loriou