“Pauvre folle” : Bienvenue dans le laboratoire de Chloé Delaume

On ne présente plus Chloé Delaume. Prix Médicis 2020 avec Le cœur synthétique, l’autrice connue pour son engagement féministe a publié près d’une trentaine de livres depuis son premier roman Les mouflettes d’Atropos. Romans, autofictions, essais, théâtre, fragments poétiques et même chansons, Chloé Delaume ne s’interdit rien. Elle n’affectionne rien tant que les objets hybrides et le mélange des genres.

En témoigne Pauvre folle, son dernier livre. Clotilde Meurice a pris place dans un train, direction Heidelberg. Un dernier voyage, une fuite en avant, le temps de comprendre la nature de sa relation avec Guillaume, le temps de revenir sur les évènements saillants de sa propre existence. Dehors, le monde tombe en lambeaux. Dedans, chaque chapitre est l’occasion d’ouvrir un tiroir de la mémoire de Clotilde. Même si elle n’en a pas trop envie. Mais il le faut. “Ce qu’elle s’arrache de la tête ressemble à une escalope, un morceau de dinde morte, de dinde élevée au grain, très fin, un peu gluant, aux reflets jaunis de gras”. Clothilde coupe les fils de ses souvenirs, défait les nœuds, les refait pour mieux les recoudre au puzzle de sa vie. Pour mieux résoudre cette “affaire délicate” qu’est Guillaume, homosexuel qui ressemble pourtant à s’y méprendre à « l’amour absolu”.

Banale, l’histoire rappelle celle d’Adélaïde, personnage du Cœur synthétique amoureuse de l’amour. Ce n’est donc pas pour elle qu’on lira Pauvre folle. Non. On se délectera bien davantage du jeu avec la langue auquel s’adonne Chloé Delaume, de sa recherche d’une forme parfaite pour mimer les déchirures de la mémoire, de ce nouveau rapport au langage et donc au passé qu’elle et Clothilde essaient de construire. Dehors, “la fin du monde n’a pas du tout la forme prévue”. Dedans, le fond de l’intrigue est pour le moins convenu mais, contre toute attente, la littérature ressort riche de cette folle expérimentation.