Créée en décembre 2024 à Lausanne, la dernière pièce d’un des auteurs dramatiques germanophones les plus réputés de sa génération ausculte l’éclatement d’une famille après avoir découvert un mystérieux tableau.
De l’art pour déclencher des conflits, rien de nouveau au théâtre. On se souvient du triomphe d’« Art » de Yasmina Reza qui voyait trois amis s’étriper sur le sens et la valeur de l’Antrios, un monochrome blanc. Dans Nocturne de Marius von Mayenburg, c’est aussi un tableau qui met à mal les relations qu’entretiennent Philipp et Nicole, frère et sœur, et leurs conjoints respectifs. En cause ? La découverte d’une toile représentant l’église Saint-Rupert située dans le premier arrondissement de Vienne. Une experte en art nazi, Evamaria, est formelle : il s’agit d’une toile d’Adolf Hitler. Que faire alors d’un tel tableau ? Le vendre ? Le léguer à un musée ? Le détruire ?
Plutôt que d’opter pour une veine comique, Marius von Mayenburg choisit de traiter son sujet sérieusement : que faire de l’héritage nazi (« Hitler est inscrit dans l’ADN de l’Allemagne, sans la portée de sa vision, notre pays ne serait aujourd’hui qu’un pré où paissent des moutons. ») ? Et que faire d’une ancêtre dont elle découvre qu’elle aurait couché avec Martin Bormann, conseiller personnel d’Adolf Hitler ? Nicole et Philipp sortent les arguments pour vendre la toile, et empocher quelques milliers d’euros. Mais Judith, la compagne de Philipp, Juive, n’est pas du même avis. Alors que le cerveau de Nicole et Philipp baigne dans la « soupe brune », Judith voit les choses autrement.
Rythmée, la pièce interroge le leg nazi et la question de l’antisémitisme. Sans être une pièce à thèse, Nocturne pose de justes questions sur ce qu’il faut faire d’un héritage gênant et sur la dissociation de l’œuvre et de son artiste. Le tableau, non signé, aurait-il une quelconque valeur esthétique ? Comme l’assène abruptement un acheteur potentiel : « Il faut séparer l’œuvre de l’artiste, sans quoi c’est l’Occident tout entier que nous jetons par la fenêtre. »
Nocturne, Marius VON MAYENBURG, traduit de l’allemand par Laurent Muhleisen, L’Arche, 80 pages, 13,50 €
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