Dans son essai « Pour l’amour du peuple » Marc Lazar étudie les mouvements populistes français de la fin du 19ème siècle à nos jours. Outre une belle fresque historique, l’auteur y développe une analyse approfondie des racines du populisme.
« En Europe, la France est le berceau du populisme et l’une de ses terres de prédilection ». Ainsi débute l’ouvrage de Marc Lazar. Avant de plonger le lecteur dans son histoire, l’auteur s’attache à mieux définir le populisme, à en tracer les limites. Si le mot est parfois galvaudé, il dégage des traits caractéristiques communs à tous les populismes qui permettent de les reconnaître. Il retient le rôle primordial du chef charismatique, l’opposition du peuple et des élites, le recours aux émotions populaires, le nationalisme alors que le cadre idéologique reste souvent plus flou. Il faut donner des limites au concept : si le populisme de droite partage des points communs avec le fascisme, il ne recourt pas à la violence politique et son nationalisme n’est pas conquérant. Le populisme est très divers, il peut être pur ou partiel, intermittent ou durable, et en particulier en France il est traversé par le clivage gauche-droite. Ainsi le RN reste imprégné des idéologies d’extrême droite. LFI partage avec lui le rôle prépondérant du leader et l’opposition du peuple aux élites mais il ne s’agit pas du même peuple : il inclut les exclus et les immigrés en pourfendant surtout les élites économiques par anticapitalisme.
Le parcours historique de Marc Lazar débute avec le général Boulanger quand en 1886-87, la jeune troisième république est encore marquée par la défaite de 1870. Dans l’entre-deux guerre, les ligues d’extrême-droite sont influencées par le fascisme italien. La grande guerre est encore très présente dans les esprits comme l’atteste le slogan « le vrai peuple est né dans les tranchées ». Le poujadisme en 1956 est surtout une révolte fiscale et une crainte face à la modernité de certaines catégories professionnelles comme les commerçants et artisans. Tout récemment le mouvement des gilets jaunes est original car sans leader, totalement venu de la base. Hétérogène, il pourrait se définir par son slogan : « nous sommes le peuple » et par sa demande de démocratie directe.
« Pour l’amour du peuple » est un essai dense, très documenté avec une bibliographie impressionnante. Il relève à la fois de l’histoire et des sciences politiques. Ce livre n’est pas militant, il cherche à analyser, à comprendre, sans juger. « Le populisme est accroché à la démocratie comme la liane autour de l’arbre » : pour Marc Lazar la France est prédisposée aux populismes du fait d’un équilibre toujours fragile entre démocratie représentative et souveraineté populaire. Dans l’histoire, les populismes apparaissaient comme des poussées de fièvre peu durables. Pour expliquer leur enracinement actuel l’auteur renvoie à leurs causes profondes, comme l’anxiété et la souffrance sociales, la défiance vis à vis du monde politique mais aussi les tensions internationales et les interrogations identitaires. Autant de pistes à méditer pour tenter d’enrayer la poussée populiste actuelle.
Pour Marc Lazar, l’avenir reste incertain, rien n’est écrit. Il ne peut exclure une dérive vers l’autoritarisme et la démocratie illibérale. Mais il le reconnaît au terme de son impressionnant travail : le peuple reste la source primordiale de la démocratie. De lui, de nous, dépend notre avenir.
Marc Lazar, Pour l’amour du peuple, Gallimard,307 pages, 22,5 euros, sortie le 30 10 2025