Alors que les représentations de Léviathan dans la mise en scène de Lorraine de Sagazan viennent de se terminer aux Ateliers Berthier – Odéon 17ème, retour sur le texte brut signé Guillaume Poix.
Léviathan a été créé au Festival d’Avignon le 15 juillet 2024. Rapidement loué, le spectacle fait le tour des théâtres nationaux. Les éditions Théâtrales, qui publie des textes de théâtre contemporain, donnent à voir l’intégralité du texte de Guillaume Poix dont la metteuse en scène Lorraine de Sagazan n’a finalement gardé que les scènes suivantes : « Le régleur, », « Le SDF », « La voleuse », « Entretien », « Accueil », ainsi que les quatre monologues du témoin. Là où le spectacle faisait le choix du désordre, du chaos et de la sur-représentation théâtrale pour montrer que la justice est avant tout un spectacle, le texte, ici, se révèle parfaitement claire, collant au plus près du fonctionnement de la justice.
Afin de préparer son texte, Guillaume Poix a passé de plusieurs semaines au plus proche de la justice. Il a notamment assisté, entre septembre 2023 et juin 2024, à de nombreuses journées d’audience de comparution immédiate à la 23ème chambre du tribunal correction de Paris. Cette procédure exceptionnelle est au cœur du dispositif théâtral : « La procédure de flagrants délits : c’est l’ancien nom de la comparution immédiate./ Un délit est commis./ Le suspect est interpellé sur-le-champ./ Il est placé en garde à vue./ Puis il est présenté au procureur qui décide ou pas de le faire juger en comparution immédiate. » La procédure, qui avait été pensée pour sortir des cadres rigides, devait être exceptionnelle. Aujourd’hui, en France, on en compte 60 000 par an, chaque audience dure en moyenne 29 minutes. L’exception devient la règle.
La pièce multiplie donc les exemples, histoires vraies. Délits routiers, délits sans victimes, violences sexistes et sexuelles sont représentées. Il y a ce régleur qu’on a contrôlé à faire de la moto sans casque sur un chemin privé, ce SDF à qui on a volé son portable et qui a menacé de brûler le local de l’association où il était venu se doucher, cette indignée dealeuse de drogue, ce militant écologiste qui a bloqué l’autoroute, etc. La pièce « nous confronte à une procédure peu connue et peu traitée en fiction, souvent caricaturale tant elle assigne et défigure, incapable de s’attaquer aux causes sociales qui l’alimentent. »
L’écriture de Guillaume Poix colle au plus près du réel. Par ses personnages (l’accusé, l’avocat de l’accusé, la présidente, le procureur…), le dramaturge reconstitue ce spectacle judiciaire avant de conclure sa pièce par une dernière partie, « Hétérotopie », « un lieu d’expériences et d’alternatives » à cette justice brute et expéditive.
Léviathan (matériaux), Guillaume POIX, fragments et inédits du spectacle conçu et mis en scène par Lorraine de Sagazan, éditions Théâtrales, 144 pages, 18 €
Visuel : © Couverture du livre