Les sublimes leçons de dessin d’Hokusai

Au Japon, traditionnellement, l’apprentissage d’un savoir-faire, que ce soit cuisiner, fabriquer une lame, teindre un tissu ou modeler une céramique, se fait par mimétisme de l’élève sur le maître. Avant de commencer à créer quoi que ce soit, l’élève se doit d’observer les gestes et d’écouter les préceptes de son maître, de maîtriser l’utilisation et l’entretien de ses outils et ce jusqu’à ce que cela devienne une seconde nature. En dessin, cela se faisait donc en recopiant les dessins à l’encre sur papier que fournissait son maître, en les étudiant, les décomposant et en les restituant d’un coup de pinceau assuré.  Tout ceci, Hokusai l’enseigne dans ces pages, s’adressant à tout le monde, quel que soit le niveau.

De son vivant, la renommée d’Hokusai (1760-1849) s’étend dans tout le Japon et ses œuvres sont très populaires. Il avait près de 200 élèves et admirateurs, et tenir son rôle de professeur aurait été trop compliqué avec des dessins de sa main, c’est pourquoi il a l’idée de publier des cahiers d’apprentissage (etehon en japonais) accessibles à tous. Entièrement réalisés en gravure sur bois, ces cahiers ont été réédités plusieurs fois avec parfois de variations comme par exemple une mise en couleur des images. De 1810 à 1848, Hokusai n’a pas cessé de publier de nouveaux cahiers d’apprentissage en parallèle de ses célèbres livres Hokusai manga, des nombreux romans qu’il illustrait ou de ses estampes multicolores aujourd’hui mondialement connues.

Dessiner avec Hokusai regroupe quinze cahiers, organisés chronologiquement et de façon progressive dans leur enseignement. Les sujets sont variés, allant des animaux, des plantes, de l’architecture au mouvement des humains, sans oublier les motifs destinés à être utilisés par des artisans sur leurs créations. Mais ce qui transparaît ici est avant tout l’importance de la justesse de la ligne et de la composition. Dès le début de ces imposantes 896 pages, Hokusai insiste sur la géométrie qui sous-tend chaque dessin, le rapport entre les masses et leur agencement, quel que soit le sujet que l’on traite ou son échelle. Une observation attentive et soutenue amène à la ligne exacte, qui retranscrira l’essence de son modèle.

Les artistes d’aujourd’hui peuvent trouver dans ce livre des savoirs précieux ainsi que le défi incroyable de suivre la voie d’Hokusai à la manière de ses élèves de l’époque. Pour celui qui a voulu transmettre toutes les connaissances accumulées en 70 ans de carrière tout en se considérant toujours en formation, même à 80 ans passés, l’hommage est de taille. Mais ces carnets d’apprentissage offrent aussi à ceux qui n’ont pas l’âme artiste l’occasion d’admirer les dessins du maître dans toute leur variété, leur invention et leur humour. On peut apprendre des chorégraphies, chercher les caractères des syllabaires japonais cachés dans les dessins moji-e, un divertissement populaire de l’époque Edo, ou simplement admirer les scènes typiques d’Hokusai.

Au travers de ce formidable catalogue de motifs où chaque dessin a un fort pouvoir narratif, on arrive au cœur de ce qui fait le dessin : la perfection de la ligne, qui retranscrit une maîtrise du pinceau, un mouvement du corps et une vision du monde. Même sans lire les calligraphies d’Hokusai, son message a pu se transmettre au-delà des mots et au travers du temps. La preuve qu’il a su atteindre l’essence même de son art.