Lauréate du Prix Booker 2016, l’écrivaine coréenne Han Kang relate les événements tragiques survenus entre 1948 et 1950 en Corée du Sud. «Impossibles adieux» est un roman très émouvant, à la fois historique et poétique.
Un cimetière au bord de la mer. Il neige. Des troncs d’arbres noirs, dénudés, tels des silhouettes fantomatiques et la mer qui monte, menaçant d’engloutir les pierres tombales. Pour Gyeongha, la narratrice, ce rêve est récurrent, obsédant, depuis qu’elle a écrit ce livre qui raconte les massacres survenus en Corée entre 1948 et 1950. Son amie Inseon, cinéaste et ébéniste veut mettre en scène et filmer le cauchemar. Elle habite Jeju, une île où est survenu le massacre qui a anéanti sa famille. Gyeongha reçoit un appel à l’aide de son amie. Inseon est hospitalisée car elle s’est grièvement blessée à la main. Gyeongha doit se rendre immédiatement à Jeju pour sauver Ama, son perroquet blanc. En arrivant sur l’île elle se perd dans une interminable tempête de neige. Dans la maison d’Inseon, isolée, enfouie dans la neige, plongée dans l’obscurité les rêves se mêlent à la réalité. C’est tout naturellement qu’apparaît l’esprit d’Inséon pour une longue confession. Elle fait découvrir à son amie les documents, photographies, articles de journaux collectés par sa mère pendant des décennies. L’horreur des massacres et de la tragédie familiale se dévoile alors. On apprend aussi le long travail des associations pour retrouver les dépouilles des disparus. Puis l’esprit d’Inséon disparaît dans la nuit d’une forêt enneigée, alors que s’éteint la flamme de sa bougie…
«Leur but était de les exterminer. Exterminer qui? Les rouges».
Impossibles adieux, est d’abord un roman historique. Il y a bien eu, au moment de la partition de la Corée en 1948, une rébellion sur l’île de Jeju qui a été sauvagement réprimée. 30000 morts! Les exécutions se sont ensuite étendues sur la péninsule lors du début de la guerre en 1950. C’est un très beau roman remarquable par son style imagé, poétique. Si la violence et la mort sont très présentes il existe aussi une grande douceur, grâce à l’amitié très profonde entre les deux femmes. Une amitié faite de complicité, de tendresse, d’admiration.
La nature aussi paraît violente. Gyeongha est d’abord confrontée à une canicule écrasante puis à une effroyable tempête de neige. Son chemin vers la maison d’Inseon ressemble à une marche funèbre jusqu’à ce qu’au bout de cet univers blanc apparaisse un point lumineux. La neige est un leitmotiv dans le roman. La neige qui recouvre tel un linceul les vivants et les morts. Dans la maison d’Inseon la mise en scène du drame est saisissante, l’atmosphère est lugubre, irréelle la faible lueur de la bougie luttant contre l’obscurité totale. Un jeu d’ombre et de lumière qui symbolise la lutte contre le mal.
«Ainsi j’ai beau essayé de ne pas y penser, cette chose resurgit sans arrêt».
Ce livre explore un passé qui ne passe pas, comme le rêve de Gyeongha. Les adieux aux victimes ont été rendu impossibles par la dissimulation des crimes et la disparition des corps. Han Kang s’élève aussi contre l’oubli après la disparition de sa mère , le principal témoin des horreurs.
Le lecteur pourra découvrir des événements historiques tragiques mais méconnus. Il sera séduit par la beauté poétique du texte de Han Kang.
Han Kang, Impossibles adieux, traduit du coréen par Kyungran Choi et Pierre Bisiou, Grasset, 336 pages, 22 Euros , sortie le 23 08 2023
Visuel ©: couverture du livre, éditions Grasset