« Le Journaliste et l’Assassin » de Janet Malcolm : Ethiques et principes du journalisme

En 1791 naît la Constitution des États-Unis d’Amérique, dont le premier amendement déclare : « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances. » La liberté d’expression, et plus spécifiquement la liberté de la presse, sont fortement protégées aux États-Unis. L’expression de « quatrième pouvoir » se retrouve tout à fait justifiée dans des affaires comme celles du Watergate. Pour autant, au cours des années 1980, un procès va remettre en cause et discuter de la notion de liberté de la presse.

Nous sommes tout d’abord au début de l’année 1970 : une mère enceinte et deux enfants sont retrouvées assassinées. Naturellement, les soupçons se portent vite sur le mari, un certain Jeffrey MacDonald, ancien médecin militaire, clamant son innocence. Arrive alors un journaliste qui a publié quelques succès, mais qui cherche avant tout à se refaire : Joe McGinniss décide d’écrire sur ces meurtres horribles, et avant tout sur MacDonald, pour livrer son De sang-froid. Les deux hommes se côtoient, se confient, échangent régulièrement. Si bien qu’une amitié naît. MacDonal se retrouve condamné et McGinniss continue d’apporter du soutien à son sujet/ami en lui écrivant de longues lettres. Quatre ans plus tard, stupéfaction : Fatal Vision paraît, et McGinniss est loin de peindre dans son livre le portrait d’un homme sympathique et blanc comme neige. Le journaliste a en réalité toujours considéré son sujet comme un assassin.  Un deuxième procès s’ouvre lorsque MacDonald attaque McGinniss pour « tromperie et violation du contrat ».

Les Éditions du sous-sol inaugurent leur nouvelle collection « Souterrains » avec la réédition de ce titre épuisé, augmenté d’une intéressante préface signée Emmanuel Carrère, lui qui s’approcha également d’un assassin, Jean-Claude Romand dans son cas, pour livrer un de ses livres les plus forts, L’Adversaire. Janet Malcolm interroge les principaux protagonistes de l’histoire, et se moque finalement peu du triple meurtre commis ou non par MacDonald. Ce qui intéresse avant tout la journaliste, ce sont les questions morales que sous-tend la parution de Fatal Vision, et la relation si particulière que McGinniss a noué avec MacDonald.

Quelle relation le journaliste doit-il adopter face à un sujet ambigu ? Doit-il montrer dès le départ ses intentions, au risque que son sujet se braque et ne parle plus ? Plus globalement, un journaliste a-t-il donc le droit de mentir aux gens qu’il interviewe ? Malcolm en vient à s’interroger elle-même sur son entreprise, se demandant si, par son enquête, elle ne reproduit pas le même schéma : « il semble que la relation auteur-sujet ne puisse survivre que dans le flou et l’opacité, sinon dans la complète dissimulation du but poursuivi. Le journaliste est obligé d’accomplir sa tâche dans un état d’anarchie morale qu’il laisse délibérément s’installer. » Une opinion qui ne laissera pas indifférents ses confrères lors de la sortie de Le Journaliste et l’Assassin.

« Quelle est la différence entre un mensonge et une contre-vérité ? C’est simple. Avec le mensonge, il y a une intention de nuire, une volonté de faire du mal. Pas avec la contre-vérité. Vous allez à une réunion d’anciens de votre lycée trente ans après. Tout le monde y va de son : « Oh, t’as pas changé, t’as l’air en pleine forme ! » Ce genre de choses. Quand je discute avec un sociopathe – en tant que flic ou en tant qu’auteur – et que le type me dit « Tu comprends ce que je ressentais quand j’ai violé ces treize femmes, hein, tu te mets à ma place ? Tu vois bien dans quel état j’étais, t’aurais fait la même chose si ça avait été toi, j’ai pas raison ? » Eh bien il est possible que je lui réponde : « Ça c’est sûr, Charlie. Déjà que j’arrive pas à m’arrêter de fumer ou de boire, c’est pas moi qui vais te jeter la pierre, hein ! Tiens, prends donc une autre barre chocolatée. » C’est évident que je vais lui répondre ça, pour qu’il ne s’arrête pas de parler. Mais il n’y a aucune intention de nuire là-dedans. »