« Le Clarinettiste manquant » de Cyril Hare : Un efficace whodunit

Le principe du whodunit (contraction de « Who has done it ? » pour « qui l’a fait ? ») est simple : un meurtre à lieu dont il convient de trouver le meurtrier. Représentatif des débuts du roman policier (Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, John Dickson Carr…), le genre est codifié et a peu à peu été délaissé au profit de romans policiers plus « sportifs » et haletants comme les thrillers ou les romans noirs. Lire du whodunit, c’est donc se replonger dans une certaine époque et se téléporter en Angleterre, avec biscuits et tasse de thé. Si l’on peut trouver le rythme planplan et le genre trop balisé (exposition, meurtre, interrogatoires et enquête, résolution), on est aussi en droit de trouver un charme suranné à ces romans, charme que l’on retrouve dans Le Clarinettiste manquant (When The Wind Blows) publié pour la première fois en 1949.

Typiquement british

Dans la petite ville de Markshire, l’avocat Francis Pettigrew occupe sans grand plaisir le poste de trésorier de l’Association de l’orchestre du Markshire. L’orchestre est tout excité d’accueillir la grande violoniste Lucy Egal pour le concerto de Mendelssohn dans un programme couplé avec une œuvre de Haendel. Tout le petit monde s’agite, depuis Dixon, l’ex-mari de Lucy Egal, remarié depuis, au clarinettiste polonais Zbartorowski, recruté sur le tard, et qui semble lui aussi avoir quelques obscurs liens avec la violoniste. Alors, lorsque Lucy Egal est retrouvée étranglée dans sa loge, et que le suspect ne peut être qu’un membre du public ou de l’orchestre, les petites cellules grises de Pettigrew se mettent en marche.

Le Clarinettiste manquant a le chic pour peindre une société anglaise remise de la Seconde Guerre mondiale. Cyril Hare dépeint parfaitement les relations entre les personnages, les conflits, les non-dits et tromperies qui font tenir la ville de Markshire en société. Le meurtre n’arrivant qu’à la page 90, l’auteur prend le temps de construire son petit monde, plein d’humour et de caractéristiques propres à chaque personnage. L’enquête, lorsqu’elle ne fait pas intervenir Pettigrew, paraît presque mollassonne, tant l’avocat se révèle attachant et piquant. Face à Agatha Christie, Cyril Hare possède une langue plus travaillée et une caractérisation des personnages plus approfondie, faisant de ce Clarinettiste manquant un whodunit tout à fait recommandable.

Extrait :

« Lorsque Pettigrew vit tous ces visages rayonnants de joie, ainsi qu’Eleonor assise dans son humble siège au milieu des deuxièmes violons, les traits transfigurés par le plaisir absolu, il comprit pour la première fois pourquoi les musiciens se donnaient tant de mal et passaient toutes ces heures fastidieuses à travailleur leur instrument et à répéter, il comprit pourquoi cela en valait la peine, et il les envia profondément. « Ils pourraient presque se passer d’une représentation en public, se dit-il, le simple bonheur de jouer leur suffit. » Il se sent soudain seul, exclu. »