Les Éditions de Minuit publient une édition spéciale de L’Amant de Marguerite Duras, récipiendaire du Goncourt en 1984.
Peut-on encore dire des choses nouvelles de ce classique de la littérature française, et même de la littérature mondiale ? Peut-on encore s’extasier sur l’un des plus beaux incipit jamais écrits (« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. ») et sur une des fins les plus magnifiques (« Des années après la guerre, après les mariages, les enfants, les divorces, les livres, il était venu à Paris avec sa femme. Il lui avait téléphoné. C’est moi. Elle l’avait reconnu dès la voix. ») que Duras pourtant regrettait ? Cette édition spéciale du roman de Duras offre une parfaite occasion pour découvrir ou relire la relation passionnée entre une bachelière et un Chinois plus âgé dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres.
Marguerite Duras écrit L’Amant en moins de quatre mois et reçoit le Goncourt le 12 novembre 1984, à soixante-dix ans. La lecture de M.D. de Yann Andréa ainsi que l’écriture d’un texte pour un livre accompagnant une rétrospective de ces films ont déclenché, chez Duras, l’envie d’écrire L’Amant. Dès le départ, personne n’est dupe : c’est un chef-d’œuvre. Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit, est bouleversé. Duras elle-même est tout à fait consciente de la qualité de son livre, dans un narcissisme assumé. Le public ne s’y trompe pas : en deux jours, 25 000 exemplaires sont écoulés. En avril 1985, succès mondial aidant, on dénombre 750 000 exemplaires vendus ! Un chef-d’œuvre que l’on peut lire aujourd’hui en quarante-quatre langues.
Dans cette édition spéciale, les Éditions de Minuit regroupent quatre entretiens, des manuscrits et des tapuscrits. Au cours de ces quatre échanges, Duras revient sur le côté autobiographique de L’Amant (l’amour-haine pour le frère aîné, les relations avec la mère) et sur les liens que le livre entretient avec d’autres romans de Duras (Un barrage contre le Pacifique, Le Vice-Consul, Le Ravissement de Lol V. Stein…). Dans une langue parfois compliquée, Duras explique le succès du livre ainsi : « C’est un livre tellement dans la littérature, qu’il en paraît sans littérature aucune. ». D’où la facilité qu’il y a, pour les lecteurs et les lectrices, à lire L’Amant.
Si l’auteure se prête au jeu des interviews, elle avoue tout de même que parler du livre « me fait aussi peur que lorsque j’avais à traverser une place vide après cette cure anti-alcool. Justifier qu’on écrit des livres un peu comme si c’était mal, c’est ça qui est intolérable. Je n’ai rien à justifier, on l’oublie toujours, moi comme les autres, rien. ». Selon elle, L’Amant est un roman mais avant tout un livre dont le seul sujet est l’écriture. « L’écriture, c’est moi. Donc moi, c’est le livre. » On notera aussi quelques passions littéraires de Duras, encensant La Princesse de Clèves, « un dérèglement de l’écrit » et louant La Place d’Annie Ernaux, un « beau livre », ou encore Paris-Plage de Brigitte Favresse. On rit aussi sous cape lorsque, d’un ton péremptoire, Duras annonce qu’ « il n’y aura ni pièce ni film », lorsqu’on connaît l’adaptation qu’en fit Jean-Jacques Annaud en 1992.
L’Amant (Edition spéciale), Marguerite DURAS, Les Editions de Minuit, 192 pages, 19 €
Visuel : © Couverture du livre